L’expropriation pour cause d’utilité publique appartient à cette catégorie de mécanismes étatiques dont la légitimité théorique est indiscutable, mais dont les dérives pratiques interrogent profondément la nature du pacte entre l’État et le citoyen. C’est précisément à cet endroit sensible, là où le droit rencontre la dignité, que l’USFP a choisi de livrer l’un de ses combats les plus structurants de l’année écoulée, en s’attaquant frontalement aux abus engendrés par l’article 40 de la loi n° 7-81.
L’année qui s’achève aura été marquée par un regain de débats sur la justice foncière, la responsabilité de l’administration et les limites du pouvoir d’expropriation. Dans ce paysage, l’initiative de l’USFP ne relève ni de l’agitation circonstancielle ni de l’opportunisme politique. Elle s’inscrit dans une continuité idéologique claire, fidèle à une tradition socialiste marocaine qui considère l’Etat comme un garant de l’intérêt général, mais refuse qu’il devienne un instrument d’arbitraire ou de dépossession déguisée. Ce que le parti met en lumière, à travers ses prises de position et la proposition de loi déposée, c’est l’écart devenu béant entre l’esprit de la loi et son application concrète, entre la finalité affichée de l’utilité publique et les pratiques qui, sur le terrain, relèvent parfois d’une logique de prédation.
Le constat dressé par l’USFP est sévère, mais il est étayé. L’article 40, dans sa rédaction actuelle, a progressivement ouvert la voie à une confiscation du droit au nom de projets qui ne verront jamais le jour. Des terrains expropriés, des familles dépossédées, des promesses d’équipements publics qui s’évanouissent, puis, dans un silence administratif troublant, des biens revendus, parfois après des années d’abandon, comme s’ils n’avaient jamais été porteurs d’un engagement public. Ce mécanisme, répété et banalisé, a fini par installer une forme d’injustice structurelle, difficilement réparable et profondément corrosive pour la confiance citoyenne.
Sur ce sujet, le parti ne se contente pas de dénoncer. Il qualifie. Il nomme. Il assume une parole politique qui tranche avec la prudence technocratique habituelle. Parler de brèches ouvertes à une exploitation illégitime du pouvoir d’expropriation, c’est reconnaître que la loi, censée protéger l’intérêt général, peut devenir un outil de domination lorsqu’elle échappe au contrôle démocratique. C’est aussi rappeler que la Constitution, dans son esprit comme dans sa lettre, ne saurait tolérer que l’utilité publique soit invoquée comme un paravent juridique pour des pratiques opaques, dénuées de transparence et de finalité sociale réelle.
Ce combat prend une résonance particulière dans un pays où la terre n’est pas seulement un actif économique, mais un héritage, une mémoire, parfois l’unique capital transmis de génération en génération. Derrière chaque parcelle expropriée sans projet abouti, il y a une histoire familiale interrompue, une sécurité sociale informelle détruite, une projection d’avenir brutalement amputée. En se faisant le relais de ces réalités souvent invisibilisées, l’USFP assume un rôle que peu de formations politiques osent encore endosser avec autant de constance : celui de porte-voix des citoyens ordinaires face aux lourdeurs et aux abus de l’administration.
La réforme proposée n’a rien d’anecdotique. Elle touche au cœur du dispositif. En imposant un délai de cinq ans avant toute revente d’un bien exproprié, le texte introduit une exigence de cohérence et de sincérité dans l’action publique. Cinq années pour démontrer que le projet annoncé n’était pas un prétexte, mais une intention réelle, portée par une volonté politique et des moyens concrets. Cinq années qui redonnent du sens à la notion même d’utilité publique, trop souvent vidée de sa substance par des pratiques contradictoires.
Plus encore, la possibilité offerte à l’ancien propriétaire de récupérer son bien, dans des conditions raisonnables et dans un délai réaliste, marque une rupture nette avec une logique administrative longtemps indifférente aux conséquences humaines de ses décisions. Passer d’un délai de vingt jours, presque irréalisable dans les faits, à une année entière, ce n’est pas un détail procédural. C’est un changement de philosophie. C’est reconnaître que le citoyen n’est pas un obstacle à l’action publique, mais un partenaire dont les droits doivent être respectés même lorsque l’intérêt général est en jeu.
Contrairement aux procès d’intention qui pourraient lui être faits, cette initiative n’est pas une remise en cause de l’autorité de l’Etat. Elle en est au contraire une consolidation. Un Etat qui encadre son pouvoir, qui accepte des garde-fous et qui se soumet à une obligation de résultat renforce sa légitimité. Un Etat qui utilise la loi pour acquérir à bas prix des terrains qu’il revend ensuite alimente, lui, une défiance dangereuse et durable. C’est cette dérive que l’USFP désigne sans détour lorsqu’il parle de spéculation publique, de filières parallèles et de marchés de prédation foncière.
La force du discours porté cette année par le parti réside aussi dans sa dimension éthique. La propriété n’y est jamais réduite à une simple valeur marchande. Elle est pensée comme un prolongement de la dignité, un pilier de la stabilité sociale, un élément constitutif de l’autonomie individuelle. Toucher à la propriété sans justification réelle, sans transparence et sans possibilité de réparation, c’est fragiliser bien plus que des équilibres économiques. C’est ébranler le sentiment d’appartenance à une communauté politique juste.
A l’heure du Nouvel An, alors que les bilans s’imposent et que les perspectives se dessinent, ce combat de l’USFP apparaît comme l’un des marqueurs les plus significatifs de l’année politique. Il dépasse largement le cadre d’un article de loi. Il pose une question fondamentale : quel type de relation voulons-nous instaurer entre l’Etat et les citoyens dans le Maroc de demain. Une relation verticale, fondée sur la contrainte et la décision unilatérale, ou une relation fondée sur la réciprocité, la responsabilité et la confiance.
En appelant l’ensemble des forces parlementaires à sortir des calculs partisans, l’USFP rappelle que certaines réformes engagent bien plus que des rapports de force conjoncturels. Elles engagent la crédibilité des institutions, la cohésion sociale et la qualité de la démocratie. La refonte de l’article 40, telle qu’elle est proposée, n’est pas une fin en soi. Elle est un point de départ, un signal politique fort, une invitation à repenser l’ensemble du système d’expropriation à l’aune de l’équité et du respect des droits fondamentaux.
Au fond, ce débat ramène à une vérité simple, mais exigeante. Aucune société ne peut prétendre avancer sereinement si la loi, au lieu de protéger, devient une source d’angoisse.
Aucune politique publique ne peut réussir durablement si elle se construit sur la dépossession silencieuse de ceux qu’elle est censée servir. En choisissant d’affronter cette question avec constance et clarté, l’USFP s’inscrit dans une fidélité assumée à ses principes fondateurs et rappelle, en cette fin d’année, que le progrès véritable commence toujours par la justice.











