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Le combat de Sisyphe de centaines de Syriens désireux de regagner le Maroc

Selon la Convention de Genève, les droits dont bénéficient les réfugiés doivent s’étendre aux membres de leurs familles


Hassan Bentaleb
Jeudi 29 Mars 2018

“Vous ne pouvez pas passer. Seuls votre femme et vos enfants ont le droit d’accéder au territoire national. Vous n’avez pas de visa valable sur votre passeport. Vous devez  quitter le Maroc ». C’est ainsi qu’un policer du service des passeports à l’aéroport Mohamed V, s’est adressé à Hamada, 50 ans, Syrien, en provenance de l’Arabie Saoudite. Et d’ajouter: « Nous sommes désolés, mais c’est la loi et nous sommes obligés de l’appliquer ». Hamada a été reconduit vers la zone de transit avant prendre un vol pour la Mauritanie. Actuellement, il vit seul à Ryad et  sa femme à Khouribga.   
Cette scène est devenue récurrente au cours de ces dernières années. En fait, Hamada n’est ni le premier ni le dernier Syrien à qui il a été refusé de mettre pied sur le sol marocain. Nombreux sont les Syriens  qui ont été bloqués aux frontières ou qui n’ont pas eu droit à une carte de séjour marocaine.  
Khaldoun Abou Fouazi fait partie de cette longue liste des Syriens déclarés persona non grata au Maroc. Il vit actuellement en Allemagne avec sa femme, de nationalité marocaine, et ses trois enfants. « J’ai à plusieurs reprises déposé une demande de visa auprès de l’ambassade du Maroc en Allemagne mais en vain  alors que son personnel m’a réclamé des tonnes de documents et l’ouverture d’un compte bancaire», nous a-t-il raconté. Et de poursuivre : « Les responsables chargés de ce dossier ne disent ni oui ni non. Pour eux, les Syriens ne sont ni acceptés ni rejetés ».
Une aberration pour lui et pour nombre de ses compatriotes. « Je n’arrive pas à comprendre pourquoi je serais interdit de séjour sur le territoire marocain alors que j’ai résidé dans ce pays entre 2011 et 2015 avant de partir vers l’Allemagne.  Ceci d’autant plus que ma femme et mes enfants ont la nationalité marocaine, que je dispose d’un acte de mariage établi au Maroc et que j’ai une maison et un magasin là-bas», s’est-il s’exclamé. Et d’ajouter : « Tout ce que je  veux, c’est rendre visite à ma famille au Maroc et retourner en Allemagne. Ma femme n’a pas pu revenir chez elle depuis trois ans puisqu’elle ne veut pas partir sans moi».
Mohamed Maher, un Syrien en  résidence permanente en Suède,  a du mal à se faire délivrer un visa d’entrée au Maroc. « Je ne me rappelle plus combien de fois j’ai déposé mon dossier de visa mais sans résultat. Le personnel de l’ambassade a été sympa et gêné à la fois car il ne sait pas quoi faire pour m’aider », nous a-t-il indiqué avant d’ajouter :  « Je ne veux pas m’installer au Maroc. Je veux seulement m’y rendre pour me marier avec une Marocaine qui m’a déjà envoyé tous les documents nécessaires. Je ne demande pas la lune mais trois jours ou quatre pour faire établir mon acte de mariage et retourner en Suède ».
Abdellah Idriss, un autre Syrien marié à l’une de ses concitoyennes et père de deux enfants, vit déjà sur le territoire marocain mais sa situation administrative est irrégulière. « Je réside au Maroc depuis 10 ans. Je suis arrivé au Maroc dans le cadre d’une mission scientifique en tant que doctorant en histoire. J’ai eu annuellement droit au  renouvellement automatique de ma carte de séjour. Mais sitôt mes études terminées en  mars 2015, la situation a changé et   je n’ai plus droit à une carte de séjour », nous a-t-il confié. Et de poursuivre : « Je n’ai eu droit à aucune réponse de la part des autorités concernées. Les fonctionnaires du bureau des étrangers m’ont informé qu'ils ne pouvaient rien faire pour moi ».
Abdellah Idriss a tenté de régulariser sa situation lors de la deuxième opération de régularisation mais sans résultat. « J’ai déposé mon dossier en décembre dernier mais personne ne m’a éclairé sur la décision prise concernant ma situation. Chaque fois que j’ai mis les pieds au siège de la préfecture de Ain Sebaa, j’ai eu droit à la même réponse : « Reviens demain ». Le personnel du bureau des étrangers m’a dit que ma situation devrait normalement être régularisée mais qu’il n’a encore rien reçu à ce propos».
Mais, il n’y a pas  que les époux syriens qui endurent les pires souffrances pour entrer au Maroc, leurs épouses aussi. Tel est le cas de Hind, Marocaine, qui a eu toutes les difficultés du monde pour faire entrer son mari syrien sur le territoire national.  « La guerre civile en Syrie nous a chassés vers les camps des réfugiés en Turquie.  Mais la vie dans ces camps s’y est dernièrement transformée en véritable enfer. En fait, les  Syriens sont parfois arrêtés et refoulés vers leurs pays d’origine. Mon mari a été arrêté deux fois et heureusement qu’il a pu s’échapper », nous a-t-elle confié. Et de poursuivre : « Je ne peux plus vivre dans la peur de perdre mon mari un jour. Je veux rentrer au Maroc avec lui mais les services consulaires ne semblent pas de cet avis. Ils se contentent souvent de prendre nos dossiers sans nous donner de réponse. D’ailleurs, il y a deux ans, le personnel du consulat m’avait avertie lors d’enregistrement  de mon acte de mariage que je ne devrais pas revenir un jour demander un visa pour mon mari alors que ce genre de propos est discriminatoire ». En effet, le droit à l’unité de la famille et à la vie de famille est intrinsèque à la reconnaissance universelle de la famille en tant qu’unité fondamentale de la société ayant droit à la protection et à l’assistance en vertu du droit international relatif aux réfugiés, du droit international relatif aux droits humains et du droit humanitaire international. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention européenne des droits de l'Homme considèrent l’égalité des droits et des responsabilités des femmes et des hommes eu égard aux soins et à l’éducation de leurs enfants comme des composantes fondamentales du principe de l’unité de la famille.  Les experts internationaux réunis à Genève en novembre 2001 ont convenu que «le respect du droit à l’unité de la famille exige non seulement que les Etats s’abstiennent d’agir d’une manière qui aboutirait à des séparations familiales, mais qu’ils prennent des mesures pour maintenir l’unité de la famille et réunir les membres de la famille. Le refus du regroupement familial peut être considéré comme une interférence au droit à une vie familiale ou à l’unité de la famille, en particulier lorsque la famille n’a aucune possibilité réaliste de bénéficier de ce droit ailleurs. De même, le renvoi ou l’expulsion pourrait constituer une interférence au droit à l’unité de la famille, à moins d’être justifiée conformément aux normes internationales».  
Concernant le cas du Maroc, les dispositions juridiques concernant le regroupement familial sont peu nombreuses et floues.  Si la loi n° 02-03 relative à l'entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l'émigration et l'immigration irrégulières a évoqué ce droit et les conditions requises pour en jouir  (âge, ressources financières, résidence, ne pas constituer de menace pour la sécurité de l’Etat...), le décret d’application reste confus et silencieux sur plusieurs aspects. Ce décret n’a pas jugé utile de délimiter la liberté de décision de l’Etat puisqu’qu’elle n’a pas été définie de manière claire  et qu’elle est demeurée illimitée.  
Jean-Paul Cavaliéri, représentant au Maroc du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), nous a indiqué que peu de femmes marocaines recourent à la procédure du regroupement familial. « Leur nombre ne dépasse pas cinq. Il s’agit de cas de Marocaines mariées à des Syriens installés à l’étranger et qui se sont vus interdire  tout accès au territoire marocain», nous a-t-il précisé. Et de poursuivre : «Nous avons signalé ces cas aux autorités marocaines qui nous ont affirmé que des instructions ont été données aux consulats marocains pour traiter en bonne et due forme  les demandes de visa déposées par les Syriens et de leur en délivrer après vérification de la validité des actes de mariage établis».
Des affirmations que beaucoup de Syriens remettent en cause puisque, à chaque fois qu’ils déposent des demandes de  visa, ils reçoivent des réponses négatives. D’après eux, le personnel des services consulaires ne motive pas ses décisions. Les refus ne sont pas motivés et ne sont pas justifiés puisqu’il n’y a pas de notes écrites ou de textes de loi stipulant clairement une quelconque interdiction. On parle seulement de consignes orales émanant des autorités marocaines. « Nous poursuivons nos contacts avec les autorités marocaines concernant ce sujet. Le Maroc est signataire de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et il est obligé de respecter en principe l’unité de la famille », a conclu notre source.


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