Le changement de croyance religieuse au cœur du nouvel ouvrage de Ayad Ablal

Un thème pas du tout familier dans les cercles de débats habituels au Maroc


Mustapha Elouizi
Vendredi 12 Juillet 2019

Le thème n’est pas du tout familier dans les cercles de débats habituels au Maroc. Et pourtant, les intellectuels marocains commencent à s’y intéresser sérieusement. Lorsqu’il s’agit de la religion et de la religiosité ainsi que de la problématique du changement de croyance religieuse, l’on est de plain-pied dans le monde des tabous. Le sociologue et anthropologue marocain Ayad Ablal a bien voulu repenser la question et contribuer au débat naissant à travers un livre intitulé « L’ignorance complexe », qui vient de paraître aux éditions «Mouminoun Bila Hodoud» (Fidèles sans frontières).
L’ouvrage qui est le fruit d’un débat de l’auteur avec nombre de ses collègues et intellectuels marocains (langue arabe/848 pages), intervient dans un contexte particulier, où le besoin devient incessant et grandissant pour découvrir les ramifications du phénomène religieux, mais aussi pour appréhender les modes et typologies de religiosité dans le monde arabe. Une manière de contribuer grandement à élucider d’autres univers sociaux et culturels.
 « En Occident, les études académiques foisonnent sur la reconversion religieuse du christianisme aux autres religions, en particulier le bouddhisme, mais il reste qu’il est manifestement rare de tomber sur des études interpellant la conversion au christianisme, ce qui nous a poussé à emprunter cette piste, dans le cadre d’une problématique complexe et un terrain de recherche formé de quatre pays, à savoir le Maroc, l’Egypte, l’Algérie et la Tunisie, et nous nous sommes limités aux phénomènes de messianisme, chiisme et athéisme comme principaux modes  de changement de  croyance », souligne l’auteur.  
Décliné en deux grandes parties, le livre aborde d’abord le changement de la croyance religieuse dans le monde arabe entre la réalité sociale et le doute méthodique, puis les facteurs, causes et enjeux du changement de croyance dans le monde arabe et les métamorphoses de l’image de Dieu. Il était donc important pour l’auteur d’entamer l’étude par l’examen du phénomène religieux et de religiosité en Occident d’abord, en faisant appel aux différents paradigmes puisés dans la sociologie, l’anthropologie et la psychologie. Ensuite, le passage au monde arabe se fera sans projections ni stéréotypes, avec une conclusion particulière d’absence sinon de rareté de références en la matière. Il était incontournable dans ce sens de recourir aux rapports internationaux et aux reportages et articles de presse sur le phénomène, bien qu’ils soient quelque peu empreints de questions idéologiques et identitaires.  Les conclusions auxquelles nous a mené notre étude ont un rapport étroit avec le sentiment de crise que vit essentiellement le reconverti supposé. Pour les musulmans reconvertis au  christianisme, à titre d’exemple, la question a trait à la crise de l’image du père et les représentations familiales du reconverti lui-même, la crise du système social et la crise d’adaptation aux valeurs sociétales ou au système culturel. Un père violent et agressif laisse une mauvaise image chez la personne reconvertie qui aspire au changement de cette image à travers celle de son Dieu, en guise notamment de vengeance. Il entre ainsi dans un cycle de recherche d’autres valeurs dans lesquelles il entend trouver notamment la sérénité affective et spirituelle.
 « Il suffit de transcrire les mots clés église, reconverti au christianisme, nouveaux chrétiens … sur un moteur de recherche pour se trouver devant des dizaines de pages ou de groupes tantôt fermés tantôt ouverts avec des centaines de membres, sans oublier la mode de cyber-conversion et les multiples produits médiatiques présentés et destinés aux reconvertis potentiels», précise le chercheur Ayad Ablal.
Les jeunes Marocains et Nord-Africains en général sont ouverts et exposés à un grand marché religieux, qui reflète notamment cette crise dans les modèles présentés. Il est certain que la tension qui prévaut dans la mémoire collective religieuse est une réaction naturelle à l’égard du nombre grandissant de mutations que connaissent l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.


Lu 6207 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.










services