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Le Maroc et l’Egypte, premiers destinataires des transferts des migrants

Un enjeu financier et social capital mais aux fondations fragiles


Hassan Bentaleb
Vendredi 19 Novembre 2021

Le Maroc et l’Egypte, premiers destinataires des transferts des migrants
62 milliards de dollars : tel est le montant des transferts opérés au cours du premier semestre 2021 par les migrants vers leurs pays d’origine en  Afrique du Nord et en Moyen-Orient notamment au Maroc et en Egypte, soit  une hausse de 9,7% due à un retour à la croissance dans l'Union européenne (UE) et les pays du CCG, a indiqué un récent rapport de la Banque mondiale (BM). Cette dernière a précisé que ce montant pourrait être plus important  si l’on prenait en considération les transferts de fonds opérés via des canaux informels dans les régions à tension (Liban, Libye, Syrie et Yémen). 
 
Le Maroc deuxième pays destinataire dans la région
Le même document a révélé que le Maroc est le deuxième pays destinataire parmi ceux en développement de la région. Les Etats-Unis sont en tête de liste des pays à partir desquels les envois de fonds sont effectués (14%) malgré la forte concentration des MRE en Europe, suivis de l'Arabie saoudite (12 %) et de la France (10%).

A ce propos, ledit rapport souligne que l'UE reste la destination dominante des travailleurs migrants du Maghreb avec une présence forts du Maroc considéré comme le plus grand pourvoyeur de migrants. La France et l'Espagne sont les destinations phares, peuplées respectivement de 1,5 million et 850.000 MRE. A noter, cependant,  que l'Europe a été durement touchée par la récession mondiale causée par la Covid-19 en 2020, avec une chute du PIB de 6,3%, en raison d'une baisse des exportations induite par la pandémie et de la consommation et de la production industrielle liée aux restrictions d'activité.

La BM a noté, par ailleurs, un autre type de transfert, à savoir celui opéré par les migrants d'Afrique de l'Ouest et du Sahel qui transitent par le Maroc et la Tunisie vers l'Europe. Ces migrants stimulent des envois de fonds vers les économies d'accueil au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, grâce aux fonds de soutien envoyés de leur pays d'origine. Les envois de fonds en provenance des pays d'origine de ces migrants contribuent à compléter les revenus et à combler les périodes d'inactivité de l'emploi. 
 
Transferts des MRE, facteur vital de l’équilibre financier
Selon Mohamed Charef, universitaire et expert en migration, « la contribution de la diaspora maghrébine aux économies nationales est considérable. C’est un facteur vital de l’équilibre financier pour le Maroc et la Tunisie, dans la mesure où c’est l’une des premières sources de devises de ces deux pays, avec les phosphates, le tourisme et l’agriculture ». D’où l’intérêt porté à la population migrante par les pouvoirs publics, souligne-t-il dans son article « L’enjeu du transfert d’argent des migrants : le cas des pays du Maghreb», depuis le milieu des années 1960.

« Les transferts monétaires provenant des migrants sont aussi une source vitale de revenu, de manière directe ou indirecte, pour de nombreuses familles. En effet, l’essentiel des envois est consacré aux dépenses de subsistance et à la couverture des besoins prioritaires. Leur rôle est d’autant plus important que le nombre de personnes à charge par émigré est souvent très élevé (plus d’une dizaine de personnes, si l’on compte les ascendants et les proches) », a-t-il indiqué. Et de préciser : « Selon les valeurs culturelles traditionnelles maghrébines, ce sont les personnes âgées qui comptent généralement le plus sur le soutien de leurs enfants et petits[1]enfants. Mais, à cause du chômage qui sévit de plus en plus fréquemment dans les villes et les campagnes, nombreux sont les émigrés qui doivent aussi prendre en charge leurs enfants et petits-enfants ». 
 
Transferts des MRE, élément d’équilibre social
Comparés aux autres sources de revenus, et tout particulièrement à l’agriculture, qui occupe une grande partie  des activités de la population restée sur place, les envois d’argent semblent considérables. Aussi, le poids de cet argent comme élément stabilisateur d’un certain équilibre social est incontestable, explique Mohamed Charef.

« Les écarts sont flagrants entre les revenus des ménages migrants et ceux des non-migrants dans un même milieu social. En effet, l’injection dans l’économie domestique de revenus relativement importants entraîne de manière quasi mécanique une augmentation de la consommation familiale : dépenses accrues pour l’alimentation, l’habillement, l’éducation des enfants, la santé, le logement et son équipement. Au-delà de l’alimentation et de l’habillement, les différentes enquêtes ont mis en relief l’importance de l’équipement des ménages migrants par rapport aux autres (appareils à gaz, téléphone, réfrigérateur, radio, télévision, parabole ou voiture) ; mais c’est le logement qui demeure le principal poste d’investissement ». Et d’ajouter : «Sur un plan micro-social, on reconnaît le rôle croissant et presque vital des migrants dans le développement local des espaces d’origine, et ce, notamment à travers leur engagement dans des actions individuelles et collectives (ONG, bénévolat, coopératives, actions caritatives, etc.). Ils entreprennent collectivement des actions « développementalistes », dans le cadre d’organisations associatives.

En vraies « petites entreprises », ces ONG ont un savoir-faire et un réseau relationnel très dense. Elles mobilisent des subventions de l’extérieur et agissent dans plusieurs domaines : creusement de puits, électrification, réfection de pistes, construction d’écoles rurales, achat de matériel roulant pour les communes, construction et équipement de dispensaires médicaux, aide à la formation, animation culturelle et activités artisanales, désenclavement du « pays ».
 
Un enjeu politique, économique et social à sécuriser
Au-delà de la multitude de facteurs qui déterminent l’importance des transferts, et qui ne sont pas toujours maîtrisables, Mohammed Charef soutient que « le poids de la politique migratoire suivie dans le pays d’installation est considérable. Cependant, un bon ancrage des émigrés maghrébins ou d’origine maghrébine, et surtout de leurs enfants, à la société d’origine est une forme de « police d’assurance » pour le devenir de leurs relations avec le pays d’origine ».

Or, le maintien de bonnes relations passe impérativement par une connaissance de l’évolution du mouvement migratoire et de ses besoins. C’est l’un des principaux moyens pour se prémunir des risques de tarissement de cette manne financière, qui reste à ce jour l’une des soupapes de sécurité de l’économie marocaine et tunisienne, indique-t-il. « Les autorités publiques semblent conscientes de ce paramètre, sans avoir pour autant trouvé la solution, ou plutôt les solutions, et ce en dépit d’une politique très active, qui fait habituellement tant défaut aux économies des pays en développement. L’autre problème qui nous semble d’une grande importance est celui de l’utilisation des transferts. On peut noter certains dysfonctionnements concernant la redistribution et l’affectation de ces transferts monétaires.

En effet, beaucoup de conditions de succès paraissaient réunies : convertibilité garantie, avantages fiscaux, soutien à l’investissement », a-t-il affirmé. Et de conclure : « Cependant, conçues comme autant de fonds tournés vers l’investissement productif et le capital-développement, les institutions financières ne répondent que faiblement aux attentes des migrants. Ainsi, certaines régions très pourvoyeuses d’émigrés, comme le Rif et le Souss au Maroc, la Kabylie en Algérie ou la région de Tataouine en Tunisie, voient les investissements finaux liés à leurs expatriés globalement déficitaires. Ce phénomène demande donc à être abordé certes sous son angle économique, mais aussi et surtout à travers le prisme du social ».


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