Le Maroc à la traîne concernant une loi sur l'asile ? L'urgence n'est pas d'avoir une loi, mais plutôt la bonne loi


Hassan Bentaleb
Jeudi 22 Mai 2025

Le Maroc à la traîne concernant une loi sur l'asile ? L'urgence n'est pas d'avoir une loi, mais plutôt la bonne loi
A près l’Egypte, c’est l’Algérie qui vient d’annoncer l’adoption prochainement d’une loi sur l’asile.
Il s’agit de la mise en place d’un organe autonome dédié à la prise en charge de la question des réfugiés. Alger emboîte ainsi le pas au Caire qui a approuvé en décembre 2024 un projet de loi transférant les pouvoirs de détermination du statut de réfugié et de reconnaissance de l'asile du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à l'Etat égyptien. Qu’en est-il du Maroc qui a lancé en septembre 2013, le chantier d'un droit d'asile, qui devait passer par l'élaboration d'une loi sur l'asile et l’appropriation d’une procédure de reconnaissance des réfugiés jusqu’ici laissée au HCR ? Comment peut-on expliquer ce retard ? Analyse.

Retard

Pour Saïd Machak, professeur universitaire à la Faculté de droit de Fès et expert
dans le domaine de la migration, de l'asile et des droits de l'Homme, « le retard enregistré
dans la promulgation d’une loi nationale sur l’asile ne saurait être considéré comme un
«point noir» pour le Maroc, car l’essentiel ne réside pas dans la rapidité d’adoption des
textes, mais bien dans leur qualité, leur pertinence et leur adaptation aux réalités du pays
».

« Dans un contexte migratoire complexe e t évolutif, une loi précipitée pourrait
s’avérer inadaptée, voire contre-productive.
Le Maroc a préféré prendre le temps nécessaire pour élaborer un texte équilibré, à
même de garantir une protection effective aux demandeurs d’asile, conformément aux
engagements internationaux du Royaume et apte à préserver la souveraineté nationale
en évitant les modèles imposés de l’extérieur, souvent axés sur le renvoi des migrants plutôt que sur leur protection », nous a-t-il expliqué. Et de souligner : « L’absence d’une loi dédiée ne signifie pas l’absence d’un cadre juridique. Le Maroc s’appuie déjà sur le Dahir de 1957 et un long travail avec le HCR depuis 2007 (accord de siège). Il y a également la Constitution de 2011, qui consacre l’engagement en faveur des droits
humains ».

Notre interlocuteur soutient, à ce propos, que plutôt que de céder à la précipitation, le Maroc fait le choix d’une approche mature et souveraine en matière de droit d’asile. « L’urgence n’est pas d’avoir une loi, mais d’avoir la bonne loi – un texte qui protégera efficacement les réfugiés tout en renforçant la position du Maroc comme acteur
responsable et indépendant dans la gouvernance migratoire régionale », affirme-t-il.

Pressions

Concernant le cas de l’Algérie et de l’Egypte, Saïd Machak estime que « les agissements de ces pays ne sont pas neutres dans le contexte actuel ». Pour lui, cette situation s’inscrit dans un cadre plus large de pressions exercées par l’Union européenne, notamment à travers la Charte européenne sur la migration, qui cherche à imposer aux pays tiers des responsabilités accrues en matière de gestion des flux migratoires.

« L’influence de l’UE est telle que le système européen d’asile se répercute, de
manière directe ou indirecte, sur les politiques migratoires des pays de la région,
que ce soit de façon positive ou négative.

En effet, l’UE encourage les pays tiers à endosser un rôle de « garde-frontières », en leur demandant de retenir les migrants avant qu’ils n’atteignent l’Europe. Cela se traduit par des accords de réadmission, des financements conditionnés et des pressions politiques pour durcir les politiques d’asile locales. Les standards européens en matière d’asile (comme les notions de «pays tiers sûrs» ou les procédures accélérées) tendent à s’imposer dans les législations nationales des pays voisins, parfois au détriment des droits des réfugiés. Il y a également l’instrumentalisation de l’aide au développement. Les fonds européens destinés à la coopération migratoire sont souvent liés à des conditionnalités sécuritaires, incitant les pays partenaires à adopter une approche répressive plutôt qu’humanitaire», explique-t-il. Et de poursuivre :
«Face à cette situation, la région se trouve ainsi tiraillée entre la nécessité de coopérer avec l’UE pour des raisons économiques et géopolitiques et le risque de perdre le
contrôle de sa propre politique migratoire, en adoptant des mesures calquées sur les
priorités européennes plutôt que sur ses propres réalités».

Nécessité

Le Maroc doit-il avoir une loi sur l’asile? Pour Saïd Machak, « la non-promulgation d’une loi nationale sur l’asile soulève un enjeu majeur, car elle prive le Royaume d’un cadre juridique clair et cohérent pour gérer les questions migratoires. En effet, l’adoption d’une telle loi est essentielle pour plusieurs raisons. Premièrement, elle permettrait de traduire concrètement les engagements internationaux du Maroc en matière de protection des réfugiés, notamment ceux découlant de la Convention de Genève de 1951 et du Pacte mondial sur les réfugiés. Sans législation nationale, l’application de ces principes reste fragmentaire et soumise à l’interprétation des différentes administrations. Deuxièmement, une loi sur l’asile offrirait à l’Etat une marge de manœuvre stratégique pour adapter sa politique aux fluctuations des flux migratoires. Elle renforcerait la capacité du Maroc à anticiper les crises, à organiser l’accueil des demandeurs d’asile de manière structurée et à prévenir les situations d’improvisation juridique ou logistique», a-t-il précisé.

Opposition

A ce propos, notre source nous a rappelé que le Maroc a démontré, ces dernières décennies, une approche réfléchie et stratégique en matière migratoire. « Contrairement à certains pays qui externalisent leur gestion de l’asile, le Royaume a systématiquement refusé les propositions contraires à sa souveraineté et à ses intérêts.

En effet, le Maroc a rejeté à plusieurs reprises les pressions visant à en faire une zone de relégation pour les migrants refoulés d’Europe, préservant ainsi sa position diplomatique. Il a aussi affiché son opposition aux centres d’accueil externalisés. Les projets visant à établir des "zones de transit" ou des centres de tri des demandes d’asile sur son territoire – une pratique courante dans certains pays tiers – ont été fermement écartés depuis plus de vingt ans.

Bref, le Maroc a opté pour une voie médiane, combinant régularisations exception-
nelles (comme en 2014) et coopération limitée avec l’UE, tout en évitant de devenir un simple maillon du dispositif migratoire européen ».

Saïd Machak estime, enfin, que quand le Maroc adoptera sa loi sur l’asile, celle-ci aura d’autant plus de force qu’elle sera le fruit d’une réflexion approfondie, intégrant les bonnes pratiques internationales en matière de protection des réfugiés, les enseignements des expériences comparées (erreurs à éviter, mécanismes efficaces) et une vision stratégique alignée sur les intérêts nationaux et régionaux du Royaume.

Hassan Bentaleb


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