La vie n’est pas ailleurs

Sans verser dans le misérabilisme, l’auteur rend compte de la réalité, avec ses moments pénibles, ses joies, ses espoirs, ses souffrances et ses amertumes

Lundi 25 Janvier 2016

Sans verser dans le misérabilisme, l’auteur rend compte de la réalité, avec ses moments pénibles, ses joies, ses espoirs, ses souffrances et ses amertumes




Dans « Momo, je m’appelle.
Autiste je suis... », Badreddine
Aitlekhoui se livre à un exercice
 périlleux. Faire parler
un enfant autiste de la réalité
des adultes .
Un message poignant.
A découvrir.


Lors de nos échanges autour de son ouvrage, Badreddine Aitlekhoui nous a dit : «Mon livre, en toute modestie, est juste une petite contribution pour permettre aux lecteurs de voir et vivre de plus près le quotidien de chaque famille ayant un enfant autiste dans un pays où il n’y a aucune prise en charge ». Lorsque nous l’avons questionné sur la dimension littéraire de son texte, il a souri en touchant du doigt la couverture : « Le titre a cette dimension littéraire... Au lieu de dire « Je m’appelle Momo et je suis autiste», j’ai mis « Momo, je m’appelle. Autiste je suis »...  Je voulais montrer au lecteur la confusion mentale qui est parfois dans l’esprit d’un enfant autiste et par là faire saisir aussi l’humanité de ces personnes ». Badreddine a pleinement atteint son but. En le lisant, on entre dans un univers social qui nous est bien souvent inconnu. On découvre les difficultés des familles ayant des enfants autistes et les tentatives qu’elles font pour faire sortir « les autorités et les ministères de tutelle de leur mutisme ». Sans verser dans le misérabilisme, l’auteur rend compte de la réalité, avec ses moments pénibles, ses joies, ses espoirs, ses souffrances et ses amertumes. Il fait parler l’enfant qui sent les émotions de ses parents et les restitue avec sa propre voix.
Momo décrit le monde avec ses propres repères et arrive à lui injecter cette magie absente du regard désenchanté des adultes. C’est à ce niveau que se trouve l’intérêt du récit, empreint de certaines intuitions lumineuses et émouvantes.
Lorsque les parents amènent Momo voir un pédopsychiatre, ce dernier a l’impression d’être face un spectre terrifiant : « En arrivant au cabinet du pédopsychiatre, j’ai ressenti le danger. Je ne voulais pas entrer, je pleurais et je criais. J’avais peur de ce fantôme en tablier blanc qui s’est mis tout à coup devant nous pour nous accueillir ». C’est à tort que l’on représente les enfants autistes comme vivant dans leur bulle, coupés du monde. C’est parfois avec beaucoup plus de lucidité que les gens dits « normaux » - appellation tout aussi fragile sociologiquement que celles « d’anormaux », « de handicapés » ou de « personnes atteintes de trouble mentaux», que Momo parle du milieu hospitalier.
Qui n’a pas ressenti des émotions fortes en intégrant un hôpital pour y être soigné ou recevoir un diagnostic parfois effrayant ? Momo ne fait rien d’autre que traduire les peurs que nous ressentons tous, à sa façon. L’auteur décrit le regard de cet enfant sur un monde complexe, susceptible d’être perçu – comme le rappellent d’ailleurs des sociologues tels qu’Alfred Schütz ou Abdelkébir Khatibi – de différentes façons : « Certes, chacun voyait le monde à sa façon. Chacun avait sa propre planète mais on était tous dans le même univers, dans la même fusée qui essayait de se mettre en orbite ». L’enfant découvre le milieu scolaire, dans les classes intégrées. Il se rend compte qu’il n’existe pas de personnel enseignant formé et que c’est aux familles, notamment fortunées, de se débrouiller comme elles le peuvent avec l’aide d’ONG internationales. Momo est très touché par l’attention que lui portent ces « deux anges » venus des Etats-Unis, Yousun et Ann Kim. Deux volontaires présentes six mois au Maroc pour former les mamans aux apports thérapeutiques auprès des enfants. Le roman est aussi un outil pédagogique, expliquant que « l’autisme est un trouble envahissant du développement qui affecte les fonctions cérébrales [...] La personne autiste est caractérisée par un isolement, une perturbation des interactions sociales, des troubles du langage, de la communication non verbale et des activités stéréotypées avec restriction des intérêts ». Mais à côté de la définition médicale, il y a avant tout un enfant avec ses émotions et ses élans d’affection, faisant partie d’un monde commun que nous partageons tous avec nos particularités et nos carences respectives.
L’un des plus beaux passages du roman est celui où le père découvrant que son fils est autiste cherche à apprendre des choses sur Internet. Il passe toutes ses soirées devant l’écran de son ordinateur, cherchant à comprendre le «trouble d’origine neurobiologique» dont est atteint son enfant. L’état de fragilité devant l’inconnu fait percevoir la vulnérabilité à laquelle nous sommes tous soumis. Le père cherche à combler son ignorance, à percevoir ce qu’est l’autisme.
C’est lors de ces moments de solitude devant Internet, où il s’efforce d’être actif devant l’adversité et face à l’indifférence ou aux stigmatisations, que l’enfant vient s’asseoir sur ses genoux et, dans la pénombre d’un bureau faiblement éclairé par une ampoule, suit du regard les différentes recherches effectuées sur la Toile. Merci Badreddine pour la beauté de ces mondes créées, rappelant que la littérature est aussi dans ce monde-là et que sa richesse est avant tout d’être inclusive.

 

Jean Zaganiaris Enseignant chercheur CRESC/EGE Rabat (Cercle de littérature contemporaine)

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