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L'histoire : 2010, Jmiaa, prostituée, vit seule avec sa fille dans un petit appartement dans un quartier du centre de Casablanca. Deux matelas, une table en bois, une armoire, "on en a vite fait le tour". Pour Jmiaa, la vie suit son cours, entre les passes, les virées nocturnes bien arrosées avec son amoureux Chaïba et ses copains, les palabres et rigolades avec les copines et la télévision… Depuis peu Halima s'est installée dans son petit logement. On lui présente Hacine, un colosse balafré, qui deviendra son proxénète.
"Ça impressionne, c'est pour ça qu'on travaille pour lui. On est tranquilles". D'autant qu'il ne supporte pas qu'on manque de respect aux femmes…
Jmiaa raconte la vie au quartier, et aussi le passé. Son mari, un beau gars du bled, qu'elle a épousé parce qu'il fallait faire taire les mauvaises langues. Il n'est plus là, et Jmiaa est bien obligée de se débrouiller pour faire vivre sa fille. Il y a bien sa mère, mais elle ne lui a rien dit de sa nouvelle vie à Casablanca.
La vie suit son cours, avec des hauts et des bas, jusqu'au jour où se pointe dans sa vie une certaine Chadlia, que Jmiaa, pas avare d'images hilarantes pour décrire le monde, surnomme aussitôt "Bouche de cheval". La jeune femme est en repérage dans le quartier pour préparer son long-métrage. Elle attend de Jmiaa qu'elle lui décrive sa vie, le quartier, les gens. Jmiaa se prête au jeu sans trop savoir où tout cela va la mener...
Rédigé comme un journal, à la première personne "La vérité sort de la bouche du cheval" est un geyser. Le personnage de Jmiaa, intelligent, brut de décoffrage, sait décrire avec une justesse déchirante et un humour à toute épreuve le monde qui l'entoure, la dureté de la vie, le quotidien calamiteux du Maroc pauvre, l'hypocrisie, la violence, les dérives de la religion, la corruption, mais aussi les moments de plaisir et de joie, l'amitié, l'amour, la solidarité. On rit, on pleure, on ne lâche pas ce morceau de bravoure, emportés que l'on est par cette langue unique, rythmée, truffée d'images truculentes et inventives, cette oralité couchée sur le papier avec un talent époustouflant.
On se surprend à retrouver dans cette langue les racines de celle qui se façonne peu à peu dans les quartiers populaires de ce côté-ci de la Méditerranée. Il est d’ailleurs à noter que cette rentrée littéraire fait une belle place à ces auteurs qui écrivent un français d'ailleurs (pour ne pas dire "francophone", terme consacré mais qui sonne un peu trop institutionnel).
Ce roman de Meryem Alaoui, comme "Camarade Papa" (Alttila), du Franco-Ivoirien Gauz, comme "Les cigognes sont immortelles", du Franco-Congolais Alain Mabanckou, ou encore "Là où les chiens aboient par la queue" de la Guadeloupéenne Estelle-Sarah Bulle, ne se contente pas d'un français académique desséché, appris dans les écoles de la République.
Il offre une langue enrichie, qui pioche dans le français bien sûr, mais aussi et surtout dans le parler populaire, dans la langue d'origine. Un métissage dosé d'une bonne pelletée d'invention. Une langue vivante quoi !
Et, cerise sur le gâteau, ce premier roman sans tabou, sans jugement moral, est aussi un livre hautement politique, comme le sont les brûlots, une distance habilement maintenue grâce à l'humour. Bref, précipitez-vous sur "La vérité sort de la bouche du cheval", un premier roman très réussi de cette rentrée littéraire 2018.