La surprenante traversée de l'Atlantique du couscous marocain

Un plat célébré mondialement le 19 mars de chaque année


Libé
Vendredi 6 Août 2021

La surprenante traversée de l'Atlantique du couscous marocain

Sur les menus de certains restaurants de Brasilia, un plat d’accompagnement intrigue les commensaux étrangers, notamment marocains, établis dans la capitale politique et diplomatique du Brésil : o cuscuz marroquino (couscous marocain). Pour comprendre l'omniprésence du couscous sur ces terres si lointaines, découvertes il y a tout juste 500 ans, on devrait aller dénicher cette surprenante histoire dans d’autres régions plus séculaires que Brasilia, une ville moderne fondée en 1960.

En fait, on est confronté à d’innombrables variétés de ce repas emblématique dans un pays-continent de plus de 212 millions d’habitants et d’une richesse culturelle et raciale singulière, nourrie d’affluents autochtones, africain, européen, arabe, asiatique, pour ne citer que ceux-là. Selon les historiens, le couscuz, comme on l’appelle en portugais du Brésil, est un aliment qui trouve ses origines millénaires chez les peuples berbères d'Afrique du Nord, au Maroc en particulier. Il a d’abord traversé la Méditerranée vers la péninsule ibérique puis l'Atlantique jusqu'à atteindre l'Amérique latine, où il a été réinventé, redécouvert.

Le plat dont l’histoire se confond avec celle d’un Maroc multiculturel fait de multiples brassages civilisationnels, a vite gagné en variations dans différentes parties du Brésil. Au fil des décennies et des siècles, il est devenu une source de nourriture indigène avant de se muer en un symbole de la résistance de l'arrière-pays, notamment dans la région nord-est réputée être la plus pauvre du pays.

Professeur au programme d'études supérieures en anthropologie de l'Université fédérale de Paraíba, qui étudie les communautés et les peuples autochtones du nord-est du Brésil, Estevão Palitot explique à la MAP que "le couscous au Brésil est un héritage évident de la présence marocaine (mauresque) au Portugal". Pendant des siècles, la région qui est actuellement le Portugal et l’Espagne était sous la domination de différents gouvernements nord-africains musulmans et les échanges culturels étaient intenses.

Aujourd'hui, le couscous, qui est célébré chaque année le 19 mars, journée mondiale du couscuz et de la fête de Saint-Joseph, est l'une des principales composantes du capital immatériel de la région du Nord-Est. Il s'agit d’un plat "extrêmement démocratique", qui peut être préparé et consommé des manières les plus diverses. Pour M. Palitot, le couscous n'est pas un ingrédient spécifique, encore moins une recette figée. Il existe donc plusieurs recettes de couscous à travers le monde. "Le berbère, le Paullista, celui de l'archipel du Cap Vert, tous avec leurs spécificités, des accompagnements spécifiques. Mais dans la région du Nord-Est brésilienne, où le couscuz finira par devenir la version la plus célèbre du Brésil, le plat se prépare de la manière la plus simple possible : des cornflakes moulus cuits à la vapeur, ce qui lui donne son fameux look jaune vif, détaille-t-il.

L’universitaire explique qu’"ici au Brésil, le couscous (typiquement) marocain est peu répandu. Il est vu comme une nouveauté apportée par les personnes qui sont allées étudier en France ou dans d'autres pays européens. C'est une cuisine chic, élégante et exotique. Il est cuisiné pour les réunions d'amis, un moyen d'impressionner les gens. Un plat gourmand ! On la (la semoule) trouve dans les supermarchés, mais elle est cher car importée. Et donc ce n'est pas si populaire. J'apprécie vraiment le couscous marocain et m'aventure dans quelques préparations de temps en temps".

Dans la région du Nord du Brésil, le couscous peut être sucré et consommé avec du lait de coco, généralement au petit-déjeuner, accompagné de tapioca, un mets très apprécié dans tout le Brésil. Dans le Nord-Est, le couscous est couramment consommé dans les trois principaux repas quotidiens. Autrefois dans cette région, le couscous était fabriqué avec du maïs concassé dans un mortier et broyé dans un moulin en pierre, puis cuit dans une poêle, enveloppé dans un torchon.

"Il symbolise notre rapport à la terre. Il porte une histoire à laquelle les gens attribuent une grande signification et un grand attachement", commente Maria Isabel, qui enchaine : principalement parce qu'à l'époque préindustrielle, quand il n'y avait pas de cornflakes vendus dans les supermarchés, ni même de couscous, tout le travail se faisait à la main. Le maïs était récolté, battu dans des mortiers, tamisé. Le couscous était ensuite cuit à la vapeur jusqu'à avoir la bonne texture. C'était beaucoup de travail, surtout à une époque où les familles étaient nombreuses. En même temps, c'était simple. Pas de grands secrets, pas besoin de techniques sophistiquées.

Contrairement aux Marocains par exemple, le couscous au Brésil est mangé presque quotidiennement, au petit déjeuner comme au déjeuner et au diner, explique Conceição, estimant que ce plat tire son importance et sa popularité, de la simplicité et de la disponibilité de ses ingrédients, mais aussi de la facilité dans sa préparation. "Nourriture bon marché et polyvalente, le couscous a tous les attributs de la cuisine familiale, le confort et la chaleur de la maison, les repas de famille. J'ai des souvenirs très précieux de mon enfance où le couscous était le protagoniste des réunions de famille à table", explique la quinquagénaire.



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