La production limitée et les relations algéro-russes réduisent à néant les prétentions d’Alger

L’Europe ne pourra pas trop compter sur l’ approvisionnement en gaz algérien


Hassan Bentaleb
Vendredi 4 Février 2022

L’Algérie usera-t-elle du dossier du gaz liquéfié pour rebattre ses cartes diplomatiques et stratégiques dans la région ? «Considérée comme un important fournisseur de gaz de l'Italie et de l'Espagne et la plus grande source d'importations de l'Union européenne après la Russie et la Norvège, l’Algérie  pourrait être un élément important dans la crise du gaz que connaît aujourd’hui l’Europe », a indiqué dernièrement le site Bloomberg spécialisé dans l'information économique et financière.

D’après cette source, les craintes d'une invasion russe de l'Ukraine ont forcé l'Occident à rechercher d'autres sources d’approvisionnement en gaz naturel et l’Algérie représente une alternative vu ses richesses en énergie et sa proximité géographique de l'Europe. Le site Bloomberg a révélé que les Etats-Unis discutent la question d’approvisionnement en gaz  avec des entreprises qui opèrent en Algérie, mais pas avec des entreprises ou les autorités algériennes.
 
Europe ou Russie, grand dilemme
 
Cependant, ce nouveau positionnement présentera des risques géostratégiques pour Alger, précise la même source.   Car si l’Algérie parvient à renflouer ses caisses épuisées et à obtenir un poids diplomatique en Europe, cela pourrait également bouleverser ses liens croissants avec la Russie.

Cyril Widdershoven, analyste en énergie, estime qu’il s’agit d’«une situation sans issue» pour l'Algérie qui doit gérer à la fois sa situation en tant qu’«exportateur clé d'énergie» vers l'Europe et sa volonté de consolider ses relations avec Moscou.

Mansouria Mokhefi, docteur en Histoire (IEP Paris), dans son article «Alger-Moscou : évolution et limites d’une relation privilégiée», explique que «les relations entre les deux pays, dont les économies présentent plusieurs points communs, (…) s’articulent, entre autres, autour d’une entente dans le domaine énergétique, que les deux pays, riches producteurs d’hydrocarbures, tentent de renforcer à l’heure où le marché mondial de l’énergie est en pleine mutation». 

Et de rappeler que «les économies algérienne et russe sont toutes deux dépendantes de la rente des hydrocarbures, et les deux pays ont tiré d’importants bénéfices de la hausse des prix du pétrole, leur permettant de s’acquitter de leur dette internationale et d’accumuler d’impressionnantes réserves de devises. Ils sont pourtant confrontés l’un et l’autre à des défis qui ont déjà affecté leur croissance ».

A noter qu’en septembre 2020, le géant russe de l'énergie Gazprom et l'Algérie ont promis de travailler ensemble sur la production et le transport de gaz. Le journal d'Etat algérien El Moudjahid a titré la réunion comme "Un partenariat entre deux géants". Le producteur étatique Sonatrach a annoncé mercredi que le champ gazier d'El Assel, sa joint-venture avec Gazprom, entrerait en production en 2025.
 
Une demande intérieure forte et une production limitée
 
Autre problème et non des moindres, la production du gaz algérien a atteint son plus bas niveau depuis au moins une décennie en 2019, selon le Forum des pays exportateurs de gaz.

D’autant plus qu’une grande partie de cette production est utilisée dans les centrales électriques locales pour répondre à la population croissante, laissant moins de possibilités d'exportation. Il y a une « bataille pour au moins stabiliser les volumes d'exportation de gaz», selon Widdershoven. Une déstabilisation due principalement aux contraintes internes d'exploration et de production.

En d’autres termes, même avec une hausse d’approvisionnements algériens en gaz naturel liquéfié à destination de l'Europe, les quantités disponibles ne seront pas près de combler le vide résultant d'un ralentissement majeur des flux en provenance de Russie, a-t-il déclaré.

Un état des lieux que confirme une analyse de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) qui souligne que «le secteur des hydrocarbures en Algérie ne se porte pas très bien, comme en témoigne la valse des présidents de Sonatrach (quatre en trois ans) ».

L’analyse de la FMES avance qu’au-delà du contexte actuel, entre une demande intérieure qui augmente et une production qui demeure limitée, l’Algérie semble tentée par le gaz de schiste, y compris dans le cadre de partenariats avec des entreprises américaines. Et afin de multiplier les explorations et d’exploiter de nouveaux gisements, le pouvoir algérien a assoupli sa législation afin d’attirer des investisseurs étrangers, un moyen pour lui de clientéliser des acteurs européens, américains, mais aussi russes. Par exemple, le 5 mai 2020, l’entreprise nationale algérienne Sonatrach a signé un protocole d’accord avec l’entreprise russe Lukoil.
 
Une diplomatie de prudence et de réserve
 
Des considérations d’ordre diplomatique risquent aussi d’influencer la position d’Alger. En fait, l’Algérie suit l’exemple russe et tente de maintenir de bonnes relations avec à peu près tout le monde, constate la FMES.

« Au-delà de la propagande anti-impérialiste (soigneusement entretenue par une grande partie des médias algériens), le pouvoir algérien a besoin de compenser son illégitimité intérieure (la population algérienne a massivement boycotté les deux derniers scrutins, à savoir l’élection présidentielle de décembre 2019 et le référendum sur la révision constitutionnelle de novembre 2020) par une relative stabilité dans ses relations extérieures », précise la FMES.

Et de poursuivre : « Là où la Russie considère que la flexibilité dans la politique étrangère (la capacité à dialoguer avec tous les acteurs) est un instrument de puissance et un vecteur d’opportunités économiques, le pouvoir algérien y voit simplement un mécanisme de protection ».

Hassan Bentaleb


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