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La liberté de la presse justifie-t-elle la diffamation ?


Mounir Bensalah
Vendredi 24 Septembre 2010

Nous sommes aujourd'hui devant un " conflit " entre deux citoyens marocains. Le citoyen Rachid accuse publiquement le citoyen Jamal de détournement de fonds publics pour la construction d'une prétendue somptueuse villa donnant sur la mer. Le citoyen Jamal nie catégoriquement et exige réparation par demande publique d'excuse par le citoyen Rachid, seulement ce dernier, n'apportant aucune preuve de ses révélations, fait fi de toute déontologie qui l'obligerait à s'en excuser publiquement.

Tout a commencé par une chronique de Rachid Niny sur son journal Al Massae du 16 août 2010, dans le passage suivant :

" Alors qu' " un " ministre de l'Emploi, amené par Elyazghi au gouvernement, n'a plus le temps d'entendre les doléances des fonctionnaires … l'homme est occupé par les dernières retouches de sa villa géante qu'il a construite en parallèle avec la construction du nouveau siège du ministère de l'Emploi.
Si Othmane Fassi Fihri a pu, après 12 ans à la tête de la Société nationale des autoroutes du Maroc, acquérir une villa d'une superficie de 5.000 m², le ministre de l'Emploi Jamal Rhmani a réussi à construire sa villa donnant sur la mer en 3 ans seulement.
En réalité, on se demande à juste titre comment un ministre en travaillant dans un gouvernement 3 ans, avec un salaire de 5 millions de centimes (50.000 DH) peut épargner pour construire une somptueuse villa dans un laps de temps aussi court.  Il faut se méfier des responsables publics et ministres qui dès leur installation commencent à planifier la reconstruction des sièges ou leur extension, sans que cela soit nécessaire. Car dans ce cas, il arrive que le " Tâcheron " qui construit le ministère est le même qui construit la villa du directeur ou du ministre … "
Le ministre en question, Jamal Rhmani, ayant senti sa dignité bafouée, a adressé, le 17 août 2010, une lettre au directeur de publication du journal, dont l'objet est "éclaircissement et demande de publication d'excuse ". En voici les principaux passages :
" … Premièrement : La construction du nouveau siège du ministère de l'Emploi a été confiée par le ministère, dans le cadre d'un contrat de gestion des travaux de construction à " la Compagnie générale immobilière CGI " [Cf : établissement public] … c'est le " tâcheron " que vous avez signalé et que vous avez offensé par vos propos.
Deuxièmement : Je vous invite, à l'occasion du mois de Ramadan, de partager le repas de rupture du jeûne, et c'est une invitation ouverte et je souhaite que vous soyez accompagné par un groupe de vos confrères journalistes, pour voir la " villa géante donnant sur la mer " et que vous insinuez qu'elle est sur des milliers de m², et ceci pour éclairer au mieux les lecteurs qui en ont le droit, après ce que vous avez publié, pour répandre les valeurs de transparence, et non le mensonge et la diffamation. C'est une villa dont la famille Rhmani est fière, malgré sa modestie, et je ne sais si vous allez partager ce sentiment humain, car tout simplement, c'est un projet familial qui nous a demandé, ma femme et moi, un grand effort et des sacrifices depuis plus de 7 ans. Nous avons acquis un terrain de 348m² (pour information, la zone de Harhoura ne comporte pas de terrains des superficies citées par votre article) construite sur 120 m² sur 2 niveaux, à l'adresse 197, quartier Izdihar, Sidi Abed Commune de Harhoura, et malheureusement, elle ne donne pas sur la mer comme vous l'avancez. J'aurais aimé ainsi, alors que je suis admirateur de la mer et j'y ai habité depuis mon enfance au quartier Kbibat [Quartier modeste de l'ouest de la capitale] à Rabat.
Troisièmement : Le terrain a été acquis par crédit bancaire d'un montant de 1.400.000 dirhams de la banque CIH à travers une hypothèque et en contre-partie de mensualités sur 15 ans, que la dernière sera remboursée en 2025. La construction a été financée par de l'épargne familiale cumulée par ma femme, fonctionnaire, et moi même, outre un crédit à la construction de la banque CIH d'un montant de 600.000 dirhams.

In fine, je souhaite signaler que j'ai choisi de correspondre avec vous par souci de vous éclairer afin de vous aider à lever l'injure que m'a porté votre article, si vos propos n'émanent pas d'une volonté de nuisance, mais d'une simple erreur à cause d'une information non vérifiée. Je vous écris également parce que je crois profondément à la liberté de la presse et au droit du public à la bonne information qui sert à répandre et ancrer les valeurs et principes de transparence dans la vie publique … Ce que j'ai appris de valeurs et d'éthique dans ma petite et grande famille, honorable directeur, est mon guide dans toutes les missions et responsabilités que j'ai assumées avec droiture …
Avec toutes réserves, Honorable Directeur, de recours en cas de nécessité aux dispositions légales   énoncées par la loi.  ".
Un petit calcul de simulation (Disponible sur le site de la banque CIH [Banque publique], vive la transparence : https://www.cihnet.co.ma/simulation/simul_pret.asp ) de crédit sur les montants avancés par le ministre donne une mensualité de 17.147,17 DH (sur 15 ans, avec un taux de 6%), ce qui représente 34,3% du salaire du ministre (en deçà  des 40%, taux d'endettement admissible par les banques marocaines), sans compter le salaire de sa femme. Une autre vérification à travers la visite de sites des agences immobilières montre que les prix des villas de taille similaire et dans la même zone varient entre 2 et 4 millions de dirhams, ce qui n'est pas loin du prix de revient avancé par le ministre.
Nous rappelons que le Code de la presse actuel, stipule dans son article 26 : " Le directeur de la publication est tenu d'insérer dans les trois jours de leur réception, ou dans le plus prochain numéro s'il n'en était pas publié avant l'expiration des trois jours, les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique, sous peine d'une amende de 5.000 dirhams pour tout numéro ne comportant pas les réponses, sans préjudice des autres peines et dommages- intérêts qui peuvent être prononcés au bénéfice de la personne lésée.
Cette insertion devra être faite à la même place, et en mêmes caractères que l'article qui l'aura provoquée. Elle sera gratuite si les réponses ne dépassent pas le double de la longueur dudit article. Si elles le dépassent, le prix d'insertion sera dû pour le surplus seulement et sera calculé au prix des annonces judiciaires. ".
Jusqu'à aujourd'hui, le journal Al Massae se refuse à publier cette mise au point ou apporter les preuves des propos publiés.
Justement, pas loin qu'hier, j'ai reçu un mail ironique du ministre et non moins camarade : " Cher ami, depuis des jours, je cherche l'adresse du don du ciel qui m'a été offert par le journal Al Massae: une villa sise à Route Zaër à Rabat, je ne l'ai malheureusement pas encore trouvée. Mes recherches se poursuivront sans relâche pour trouver le fameux don dans le but de le léguer à mon tour en tant que don à Al Massae, qui dispose, sans doute, de son titre foncier.  Cordialement, Rhmani Jamal, ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle/Maroc ".
Si aujourd'hui, on peut se réjouir de l'élargissement des espaces de liberté, où des ministres et des hauts responsables de l'Etat (pas tous à mon sens) sont traités comme tout le monde par la presse dans le souci de prévenir toute dilapidation de deniers publics, nous sommes également en mesure de nous demander comment préserver la dignité des citoyens de certaines dérives de la presse.
De toutes les manières, si ce "conflit " dure, le citoyen lésé Jamal peut recourir à la justice pour demander réparation (la question de la réforme de la justice est digne d'être posée, elle figure sur toutes les conclusions des travaux liés à la liberté d'expression). Si aujourd'hui, dans certains cas, le citoyen lésé se trouve être un haut commis de l'Etat, peut-on, nous autres militants des droits humains, avoir la même attitude pour demander réparation ? Autrement dit, si ce citoyen qui se sent lésé s'avère réellement coupable des faits relatés par les propos dudit article, nous devons exiger que la justice se prononce à son égard !


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