La fin de l’intellectuel français ?

Lundi 11 Avril 2016

Y a-t-il encore des intellectuels en France ? C’est une grande question qui est posée aujourd’hui dans ce pays. Avant,  ils étaient de tous les combats et soutenaient les faibles et les persécutés de par le monde. Leur combat était universel, à côté des minorités culturelles et religieuses persécutées, ils soutenaient les réfugiés, les migrants, les combats des ouvriers et des étudiants pour l’égalité des droits en France  et dans le monde, de Voltaire  à Bourdieu en passant par Hugo, Zola, Sartre et Foucault. Ceux qu’on appelle encore des intellectuels aujourd’hui  en France sont devenus des réactionnaires, islamophobes et racistes; ils justifient le racisme et la discrimination et soutiennent les idées de l’extrême droite et le repli identitaire. Ils se résument en Zemmour, Houellebecq, Finkielkraut… et d’autres  moins connus encore.
Cette constatation terrible est faite par l’historien  Shlomo Sand dans son nouveau livre «La fin de l’intellectuel  français. De Zola à Houellebecq». Ce livre résume le déclin des intellectuels de France et de la place de Paris qui était incontournable dans le monde des arts,  des idées et la défense de la diversité et de l’universalisme. Cela avait commencé avec les Lumières. «Cette renaissance française produit, à travers des philosophes aussi remarquables que Voltaire, Rousseau ou Diderot, une nouvelle figure de penseurs laïques qui entretiennent un rapport spécial et toujours critique au pouvoir…Victor Hugo va marcher sur leur trace.. ».
L’auteur avance plusieurs constatations comme le fait que l’intellectuel français aujourd’hui préfère la posture réactionnaire à la rhétorique révolutionnaire. Il a mis en exergue la place très centrale de Paris dans la vie intellectuelle française. Shlomo Sand constate que l’existentialisme ou le structuralisme ne sont pas nés en France mais dans sa capitale. Il compare cette situation à d’autres mouvements intellectuels décentralisés dans d’autres pays, aux USA avec l’école de sociologie de Chicago, en Allemagne avec la théorie critique de Francfort et en Angleterre où différentes villes se disputent la primauté.  Il  évoque également cette complicité qui existe  à Paris entre les intellectuels et le pouvoir en place au-delà des clivages idéologiques.
Pour l’auteur, c’en est fini de la place de Paris en Occident : «Paris a perdu son hégémonie, elle faisait figure, sur le plan intellectuel, d’Athènes moderne. C’est le déclin d’Athènes…et la prise de pouvoir par la nouvelle Rome, les Etats-Unis ! Outre-Atlantique, la pensée critique dans l’université est aujourd’hui beaucoup plus riche qu’à Paris». 
Pour Sand, Paris n’est plus ce qu’elle était avant dans la sphère  intellectuelle mondiale. «Concernant Sartre et Foucault, leur vraie valeur intellectuelle provient de leurs œuvres, ils ne sont redevables en rien aux médias. Leurs livres ont précédé leurs apparitions sur le petit écran. Tous deux représentent à la perfection la tradition française des grands penseurs critiques». Pour l’auteur, c’est la télé qui désigne celui qui est intellectuel ou non. Il donne l’exemple de Bernard-Henry Lévy. «A mes yeux, les livres ne valent pas grand-chose. Mais on s’adresse à lui avec respect. Pourquoi n’interroge-t-on pas les vrais spécialistes ? Pourquoi ne s’expriment-ils pas?», ajoute  l’auteur.
Shlomo Sand reproche aussi aux intellectuels réactionnaires aujourd’hui leur hypermédiatisation; ils ne quittent pas les plateaux télé pour répéter le déclin de la France, un discours idéologique déprimant. Avant, ils étaient antiracistes et aujourd’hui, ils sont islamophobes.
Dans son livre, l’auteur traque l’islamophobie et la compare à ce qu’a subi la minorité juive en France et ce qu’on a appelé la judéophobie des intellectuels français des années 30 et 40. Ce qui se passe aujourd’hui  est comparable et il donne l’exemple de  Soumission, le roman de Michel Houellebecq qui aurait suscité la réprobation générale si l’on y avait remplacé le mot musulman par celui de juif.  Il n’a pas oublié  Charlie Hebdo de Philippe Val qui caricature l’islam comme le faisaient  les journaux antisémites de l’entre-deux guerres avec le judaïsme. L’auteur va  très loin dans son analyse, il  interprète le slogan  «Je suis Charlie» «derrière lequel se cachait une façon finalement assez peu fraternelle de dire «Je suis français», membre de «l’Europe blanche». Pour l’auteur, c’est l’islamophobie qui a fait défiler des millions de Français. 
La désignation de l’islam comme ennemi est une conséquence du recul de la pensée critique. « Finkielkraut explique que l’islam présente un danger pour la culture française…je pense qu’il est  catastrophique de s’en prendre aux plus faibles, dans nos sociétés, les musulmans stagnent au bas de l’échelle sociale. C’est la réalité que ne veulent pas voir ces intellectuels parisiens. » Dans son livre, Sand traque toutes les pratiques islamophobes de certains intellectuels français qui se cachent derrière la laïcité, en comparant cela à ce qui se pratiquait contre la minorité juive en France. Pour lui, l’histoire se répète.
La presse française n’a pas été tendre envers le livre qu’elle juge polémique. La comparaison  du sort de la communauté juive entre les deux guerres et du sort des musulmans aujourd’hui est excessive. Il leur rappelle le passé noir de la France à cette époque. De plus,  cet auteur israélien est un ardent défenseur de la cause palestinienne. Il a tout pour déplaire aux médias français : pro-palestinien et juif, il met à nu le rôle des intellectuels réactionnaires et des médias qui les soutiennent
L’ouvrage de  Shlomo Sand dérange ces médias qui donnent de la force à des intellectuels islamophobes et réactionnaires qu’on  voit  dans tous les supports médiatiques. Certains ont des émissions et des chroniques quotidiennes, de quoi faire déprimer le champ intellectuel français  et de rappeler la France de l’entre-deux guerres. Il révèle également la face cachée d’un système qui ne donne plus d’intellectuels à l’instar de Sartre, Foucault ou Bourdieu, à douter qu’ils existent encore. Nous pouvons penser que leur parole, non relayée par les médias, n’est pas entendue.
 

Youssef Lahlali

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