La bureaucratie asphyxie les réformes

Les politiques publiques appelées à aller au-delà des bonnes intentions


Hassan Bentaleb
Vendredi 25 Avril 2025

La bureaucratie asphyxie les réformes
« Malgré les réformes institutionnelles engagées ces dernières années, les efforts déployés en matière de gouvernance au Maroc peinent encore à produire les résultats attendus. Les avancées constatées à l’échelle stratégique ne se traduisent pas de manière suffisamment tangible dans la vie quotidienne des citoyens ni dans le fonctionnement efficace de l’administration. Autrement dit, un ensemble de blocages structurels entrave toujours la mise en œuvre des politiques publiques ». C’est ce qui ressort du dernier rapport de l’Institut Royal des études stratégiques (IRES) : « Quelle gouvernance pour un monde en mutation ? ».
 
Obstacles majeurs à la mise en œuvre des politiques publiques 
 
Parmi les obstacles majeurs entravant la réalisation des politiques publiques, l’IRES observe plusieurs défis structurels et opérationnels. D’abord, le décalage entre orientations politiques et application réelle.

En effet, et bien que les grandes orientations politiques soient souvent clairement définies dans les discours et les documents stratégiques, leur traduction concrète sur le terrain reste insuffisante. Ce fossé s’explique par des difficultés de coordination entre les différents niveaux administratifs, un manque de moyens financiers et humains, ainsi que par des priorités fluctuantes selon les agendas politiques. 

Ensuite, un retard dans l’adoption des textes réglementaires. L’effectivité des lois dépend souvent de leur décret d’application, dont l’élaboration et la publication accusent fréquemment des retards. Ces délais prolongent les périodes d’incertitude juridique et ralentissent la mise en œuvre des réformes, limitant ainsi leur impact. 

Enfin, la faible implication des parties prenantes est également pointée du doigt, poursuit le document de l’IRES. En effet, la réussite des politiques publiques nécessite l’engagement actif des acteurs concernés, notamment les collectivités locales, les entreprises, les associations et la société civile. Or, leur participation reste souvent limitée en raison d’un manque de consultation en amont, de la complexité des processus décisionnels ou d’une méconnaissance des mécanismes de contribution.  Cette exclusion affaiblit la légitimité des mesures et réduit leur appropriation par les populations concernées. 

L’IRES note aussi la lourdeur bureaucratique et la résistance au changement. Il explique, à ce propos que les procédures administratives excessivement rigides et les lenteurs dans les circuits de validation freinent l’innovation et l’adaptation aux réalités locales. Cette bureaucratie peut également décourager les initiatives portées par les acteurs de terrain, renforçant ainsi un statu quo défavorable aux réformes. 
 
Manque de cohérence et de coordination
 
Le manque de cohérence et de coordination entre les stratégies sectorielles constitue l’un des talons d’Achille de l’action publique au Maroc, constate l’IRES. Trop souvent, les ministères et organismes étatiques opèrent en silence, sans concertation réelle ni vision transversale partagée. Il en résulte des programmes redondants, parfois concurrents, qui mobilisent des ressources sans générer de valeur ajoutée significative. Cette absence de synchronisation engendre non seulement des dilapidations budgétaires, mais aussi une perte d’efficacité dans la mise en œuvre des politiques publiques.

Par exemple, dans le domaine du développement territorial, les plans d’aménagement, de logement, d’infrastructures et de formation professionnelle sont rarement conçus de manière intégrée. Cela débouche sur des zones industrielles vides de main-d'œuvre qualifiée, des projets sociaux hors de portée des populations ciblées, ou encore des infrastructures peu utilisées, faute d’articulation avec les besoins réels des territoires.

Sur le plan social, cette fragmentation limite l’impact des réformes éducatives ou sanitaires, car les ministères concernés ne travaillent pas suffisamment en complémentarité avec ceux chargés de l’emploi, de la jeunesse ou du développement rural. Résultat :  une politique publique émiettée, incapable de répondre de manière globale aux attentes des citoyens, et d’anticiper les interdépendances qui lient les différents secteurs.

Enfin, cette faible synergie entre acteurs rend très difficile l’évaluation des politiques publiques. Les responsabilités sont diluées, les indicateurs sont hétérogènes, et l’absence d’objectifs partagés rend presque impossible toute reddition des comptes. Sans une gouvernance mieux intégrée, les réformes structurelles risquent de rester lettre morte, en dépit de leur pertinence sur le papier.
 
Des conséquences profondes
 
Ces dysfonctionnements structurels, précise ledit rapport, ont des conséquences profondes et durables sur le développement socioéconomique du Maroc. Et d’ajouter que le déficit de coordination, l’inefficacité administrative et la lenteur dans l’application des réformes freinent l’élan de croissance du pays. En entravant la bonne exécution des politiques publiques, ils limitent l’émergence d’un environnement économique propice à l’investissement productif, à l’innovation et à l’entrepreneuriat. Résultat : la croissance économique demeure en deçà de son potentiel, et les avancées enregistrées restent trop faibles pour absorber le chômage structurel, notamment chez les jeunes diplômés et en milieu rural.

La création d’emplois, en particulier, subit un coup d’arrêt. Les lourdeurs bureaucratiques, le manque de lisibilité des politiques publiques et l’inadéquation entre offre de formation et demande du marché du travail compliquent l’insertion professionnelle. Cela engendre non seulement un ralentissement du développement économique, mais aussi un sentiment d’exclusion grandissant chez une large frange de la population.

Au-delà de l’impact économique, ces défaillances nourrissent un climat de défiance généralisée envers les institutions publiques. Les citoyens perçoivent souvent les promesses politiques comme de simples effets d’annonce sans suite concrète, ce qui affaiblit la légitimité des institutions représentatives, notamment les conseils élus, les partis politiques et, dans une certaine mesure, le Parlement. Cette crise de confiance se manifeste par une participation électorale en baisse, une mobilisation citoyenne fragmentée, et un désengagement croissant de la population dans les processus de décision.

Ce déséquilibre entre ambitions affichées et réalisations effectives alimente aussi une forme de frustration sociale, qui peut se transformer en contestation ou en repli individuel. Dans ce contexte, restaurer la confiance des citoyens dans leurs institutions passe inévitablement par une refondation de la gouvernance, plus transparente, inclusive et orientée vers des résultats tangibles.

Hassan Bentaleb


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