
La couleur du ruban, Midori (verte) en l'occurrence, tendu par Ayoub Arrache, cofondateur de l’école, est une invitation à former une équipe pour participer à la “Reunion Party”. Evénement aux mille et une vertus, organisé dans des conditions sanitaires idéales et une ambiance studieuse et guillerette. Au programme, des jeux, des quiz et des performances musicales à couper le souffle. Le tout drapé d’une passion commune : l’apprentissage de la langue japonaise.
Dans les coursives de “Speak Asian”, l’atmosphère oscille entre enthousiasme et patience. Une légère musique de fond nippone accompagne des va-et-vient incessants, en attendant les retardataires, dont certains feront tout de même faux bond. Les “San”, suffixe honorifique japonais, traduit très souvent par Monsieur, Madame ou Mademoiselle, fusent aux quatre coins de l’établissement. Des duos et trios se forment mais plus pour longtemps. Trêve d’attente, la “Reunion Party” peut commencer. Et tant pis pour les retardataires.
Par grappe de sept, les participants se postent devant un écran. Téléphones en main, ils y répondent aux questions d’un quiz sur la culture japonaise. Avec réussite pour certains, ou des échecs cuisants et répétés dans notre cas. Une culture “fascinante”, s’enthousiasme Abdellah, “happi coat”, un manteau traditionnel japonais à manches droites sur le dos. Sensei (enseignant) de langue japonaise depuis 2016, il est l’un des co-fondateurs de “Speak Asian”, où l’on peut également prendre des cours de langues chinoise et coréenne.

A la vue de la réaction tout en retenue et sans effusion de joie des vainqueurs du quiz, réactions reflets du mode de vie des habitants du pays du Soleil Levant, le moins que l’on puisse dire est que le message d’Abdellah est passé. Pourtant, tout cela semblait bien illusoire, il y a quelques années. Et cela bien avant que le Covid ne chamboule notre quotidien. “Nous avons créé notre propre institut pour ne plus avoir les mains liées”, nous explique Ayoub Arrache, qui a longtemps été l’assistant des enseignants japonais à l’Université Hassan II de Mohammedia, en compagnie d’Abdellah, avant qu’ils ne décident de franchir le pas. Et d’ajouter : “Par exemple, l’organisation d’un évènement comme celui de ce week-end aurait été beaucoup plus compliqué par le passé”.
Un passé qui témoigne de débuts cahin-caha, avant l’envol que l’on espère sans fin. “Entre 2015 et 2017, nous travaillions en collaboration avec un centre de compétence professionnel à Belvédère” se souvient Ayoub Arrache. “On a commencé avec deux élèves. Mais l'inconvénient, c’est que c’était un endroit assez reculé et malfamé. En 2017, nous avons déménagé au sein d’une école au centre-ville. Notre collaboration s’est arrêtée fin 2019”. Bon leur en a pris. Car aujourd’hui, grâce à l’ouverture de “Speak Asian”, Ayoub et Abdellah ont leur destin entre les mains. “Jusqu’à présent, nous avons formé une centaine d’étudiants et actuellement, l’école compte une quarantaine d’étudiants en japonais et quatre qui suivent des cours de chinois”, se félicite Ayoub avant de s’éclipser pour préparer la prochaine activité programmée : Le Chopsticks master.
Dans ce jeu de réflexion et de rapidité, deux équipes de trois participants s’affrontent en essayant de placer le plus vite possible, des petites boules en plastique dans un récipient à l’aide de baguettes chinoises. On vous doit la vérité. Notre équipe a lamentablement perdu. Le seum se lit sur certains visages dont celui de Safae. “Je n’aime pas perdre”, nous dit la jeune femme avant d’arborer un sourire radieux que les plis harmonieux de ses yeux laissent deviner derrière son masque, en se remémorant le jour où le japonais a fait irruption dans sa vie d’une manière aussi originale qu’inattendue “Contrairement à beaucoup d’étudiants, je n’ai pas découvert la langue japonaise à travers les animés et mangas”, tient-elle à préciser. Et de raconter : “Je vivais au Moyen-Orient quand j’étais plus jeune. Et il n’y avait que des jeux vidéo en version asiatique, en chinois ou en japonais. Comme j'étais férue de jeux vidéo, j’ai fini par me familiariser avec la langue japonaise, son alphabet et sa prononciation”.
Une langue dont Safae ne s’est jamais départie, malgré le temps et les années qui ont filé. “Je n’ai commencé à prendre des cours qu’à partir de 2018. Désormais j’ai atteint le niveau intermédiaire”, souligne-t-elle avec une once de fierté, toujours autant sous le charme de la simplicité de la langue japonaise. Caractéristique qu’elle est la seule à déceler. C’est à ce moment, et alors que Safae se précipite sur une chaise, qu’intervient un interlude musical. Après la magnifique interprétation de Lina San, confirmant qu’elle est plus douée avec les claviers d’un piano entre ses doigts que des baguettes chinoises, Meryeme Bettache s’avance d’un pas assuré, un violon dans une main et l’archet dans l’autre.
Son interprétation d’une chanson japonaise est de toute beauté, alliage entre ses deux passions : “La musique et le Japon”, nous confie-t-elle. Violoniste depuis plus de 10 ans, elle a découvert la langue nippone par opportunisme d’une certaine manière. “J’ai découvert cette langue quand j’étudiais à l’université. Par chance, un cours de japonais a été créé gratuitement à la même époque et j’ai décidé d’essayer parce que j’aime apprendre de nouvelles choses”, a-t-elle souligné. “Et aussi parce que c'était gratuit”, se marre-t-elle. Depuis le temps qu’elle conjugue ses deux passions, elle nous avoue qu’elle a pris “l’habitude de réaliser des performances musicales dans ce genre d'évènements”. Des moments longtemps contrariés par la pandémie de Covid-19.

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Ayoub San ne croit pas si bien dire. Au-delà de la possibilité de mettre des visages sur les noms des comptes Zoom des étudiants, la “Reunion Party” est l’occasion idoine pour, d’une part, pratiquer une langue ancestrale pas comme les autres, dont le vocabulaire et la base de son écriture se sont beaucoup inspirés du chinois. Et d’autre part, “cet événement est intéressant car il augmente la cohésion de groupe. D’autant que l’on s’amuse tout en apprenant”, s’emballe Safae, que l’on a recroisée après une énième défaite de son équipe des Midori (vert), au Draw On My Back Challenge. Un jeu de concentration qui consiste à écrire dans le dos d’une personne un caractère en langue japonaise. Cette dernière doit le deviner et le réécrire sur un tableau.
Au Hiragana Play Cards, un jeu qui offre la possibilité de s'entraîner à la reconnaissance des sons “hiragana” (un alphabet japonais), ce n’était pas bien mieux. Les Midori ont encore une fois perdu, sans pour autant plomber la joie du capitaine d’équipe, Ismail Lghazaoui.
Ismail étudie le japonais depuis deux ans et n’aurait jamais cru que les animés et mangas qui ont forgé sa passion pour le pays du Soleil Levant, à l'âge de 14 ans, n’étaient en réalité qu’un prélude pour ce que son destin allait lui réserver. “Je travaille depuis quelque temps pour une filiale d’une société japonaise d’agriculture implantée au Maroc”, révèle-t-il. “Ce qui a encore plus renforcé mon envie d’apprendre le japonais. Et comme on a des collègues nippons, mes cours à “Speak Asian” rendent encore plus fluide la communication”, spécifie-t-il, en espérant un jour “visiter le Japon. Un rêve qui, je pense, va se concrétiser un jour ou l’autre en travaillant pour cette société japonaise”. Plus qu’un rêve, se rendre au Japon est une volonté féroce qui s’apparente à un graal pour les fadas de la culture japonaise que nous avons croisés à la “Reunion Party”. Un rêve difficilement accessible financièrement et désormais sanitairement parlant. Mais tant qu’il y a de l’espoir…

Chady Chaabi