L'histoire et la mémoire collective dans le cinéma national : Une approche superficielle et esthétiquement pauvre


MAP
Mercredi 1 Février 2012

Des critiques marocains du 7è art ont considéré que l'approche adoptée par le cinéma national pour traiter de l'histoire et de la mémoire collective demeure superficielle, ne se hissant pas au niveau de l'expression artistique cinématographique qui joint l'utile à l'agréable.
Lors d'un colloque organisé, samedi à Rabat par la Fondation Allal El Fassi autour du thème "Cinéma et mémoire", les intervenants ont attribué cet état de fait à l'absence d'une vision stratégique dans le domaine cinématographique, en tant que composante culturelle principale, au manque d'investissements dans ce genre de cinéma, dont on sous-estime le rôle en matière de préservation de la mémoire et de l'identité nationale et de développement culturel, ainsi qu'au manque de contact entre les cinéastes, les écrivains et les historiens marocains.
D'où, selon eux, des œuvres cinématographiques à dominante documentaire, pauvres artistiquement parlant et qui souffrent de plusieurs insuffisances aux niveaux de l'intrigue, du langage, de l'image et du décor.
Nonobstant quelques films s'étant intéressés à différentes étapes de l'histoire du Maroc, le cinéma national reste marqué, selon les participants, par la période coloniale, qu'il retrace d'une manière stéréotypée, quitte à falsifier les faits historiques et à défigurer la mémoire collective.
A partir d'un échantillon de 5 films marocains ayant traité de la détention politique, le critique de cinéma Omar Belkhamar relève, dans son exposé intitulé "Les années de braise au Maroc, convergences et divergences de l'approche cinématographique", que ces œuvres restent dominées par un langage cinématographique trop direct et dépourvu de sens esthétique, allant même jusqu'à considérer qu'elles doivent leur force d'expression aux faits historiques plus qu'au dialogue engagé entre les personnages.
De son côté, le critique Mustapha Taleb a fait observer, dans son intervention que seules 28 productions parmi 275 films produits durant cette période, ont traité de la thématique de la résistance, l'ouverture sur la mémoire collective n'ayant lieu qu'à partir des années 70.
M. Taleb a également noté que le traitement réservé à cette thématique diffère d'un réalisateur à l'autre, tandis que certains ont tissé la trame autour d'histoires secondaires d'amour, de vengeance ou d'aventure, d'autres ont réussi à mettre en relief les retombées historiques et culturelles de la colonisation. Il a déploré, par ailleurs, le manque d'intérêt des cinéastes marocains pour les écrits portant sur la résistance nationale et l'absence d'un festival national dédié au cinéma de la résistance.
Le critique Hammadi Guiroum a, quant à lui, estimé que l'approche cinématographique de la mémoire doit, au-delà de la narration, faire comprendre les événements historiques, afin de ressusciter la mémoire individuelle et collective et nourrir le sentiment patriotique.
Le cinéma marocain a le mérite, a-t-il expliqué, d'avoir exploré les dimensions politique et sociale de la résistance. En cela, il se situe aux antipodes du cinéma "colonialiste" européen régi par une logique ethnographique qui ne voit dans les us et coutumes du pays que des signes de barbarisme et de sous-développement.
Pour lui, le traitement de la thématique de la résistance dans le cinéma marocain manque, à de rares exceptions près, de sérieux et de professionnalisme, celle-ci ayant servi uniquement de prétexte dramatique à des films comme "Histoire d'une rose" d'Abdelmajid R'chich (2000), "Cauchemar" d'Ahmed Yachfine (1984) ou encore "Regarde le Roi dans la lune" (2011) de Nabil Lahlou.
Pour sa part, Noureddine Mohakik, a considéré que le cinéma marocain a pu renouer avec la mémoire collective à travers des films qui ont réussi, tant sur la forme que sur le contenu, à traiter en profondeur des thèmes historiques et sociaux. Il a cité, à titre d'illustration, "Les voisines d'Abou Moussa" (2003) d'Abderrahmane Tazi dont l'histoire se déroule à l'époque mérinide et "Les amoureux de Mogador" (2002) de Souhail Ben Barka qui retrace l'époque de la colonisation française et espagnole.
Mohamed Chouika, de son côté, est allé jusqu'à affirmer qu'il "n'existe pas de mémoire seule et unique, mais plutôt des mémoires propres à chaque spectateur", estimant que le cinéaste créatif est celui qui privilégie, dans son travail sur la mémoire, le langage imagé et symbolique au langage brut.


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