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Malgré ces moyens importants, des doutes persistent sur la capacité du gouvernement à atteindre ses objectifs, compte tenu des défis économiques, territoriaux et d’adaptation des compétences. Analyse avec Dr Soumaya Belkasseh, enseignante-chercheuse en France, spécialisée dans le domaine de la gestion des ressources humaines (GRH) et la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Un contexte social particulièrement sensible
Pour Dr Soumaya Belkasseh, «le projet de loi de Finances 2026 au Maroc s’inscrit dans un contexte social particulièrement sensible, marqué par les tensions et les revendications d’une jeunesse confrontée à la précarité ». «Les récentes manifestations à travers le Royaume ont mis en avant deux priorités, à savoir : la santé et l’éducation. Ces deux départements ministériels absorbent près du tiers du budget de l’Etat, sans pour autant répondre pleinement aux attentes des citoyens, en particulier des jeunes. En effet, le taux de chômage dépasse 12% au niveau national et reste supérieur à 35% parmi les 15 à 24 ans, selon le HCP. Cette situation illustre la difficulté persistante à accéder à des emplois stables et valorisants pour une jeunesse confrontée à la précarité économique et à l'inégalité d’accès à une formation de qualité», nous a-t-elle expliqué. Et de poursuivre : « Certes, le Maroc connaît un développement économique sans précédent, porté par les chantiers Royaux et la dynamique de la Coupe du monde 2030. Toutefois, cette croissance ne profite pas à toutes les régions à cause de la concentration des grands projets dans les métropoles. La promotion de l’emploi apparaît ainsi comme la clé d’un développement équilibré et d’un Etat social garantissant l’égalité d’accès aux droits et aux services pour tous les Marocains ».
Des mesures qui s’annoncent peu ambitieuses
Concernant la création d’emplois selon le PLF 2026, elle précise que « le PLF 2026 met d’abord l’accent sur l’emploi public, avec la création de 36.895 postes budgétaires au sein des ministères et des institutions ». «Ce choix traduit, selon elle, la volonté de l’Etat d’utiliser la fonction publique comme levier immédiat contre le chômage ». Et d’ajouter que « le budget 2026 prévoit plusieurs mesures d’incitation à l’emploi, ciblant la formation, l’entrepreneuriat, l’investissement et le développement territorial ».
Ainsi, la première mesure prévoit un programme d’appui aux TPME (très petites et moyennes entreprises), doté de 2 milliards de dirhams, pour soutenir la formation, le financement et l’accès aux marchés publics. Les TPME, qui représentent 95% du tissu économique et 75% de l’emploi privé, constituent un moteur essentiel de création d’emplois. « Son impact dépendra, toutefois, d’une mise en œuvre efficace et équitable sur l’ensemble du territoire », souligne-t-elle.
La deuxième mesure inscrite dans le PLF 2026 concerne le regroupement et la digitalisation des programmes d’emploi via l’ANAPEC, avec un budget de 1,4 milliard de dirhams. Elle vise à moderniser les dispositifs d’insertion, créer des plateformes numériques et rendre le marché du travail plus transparent et accessible, notamment pour les jeunes et les femmes. « Cependant, le succès de cette mesure reposera sur la qualité des infrastructures numériques et la formation du personnel », observe-t-elle.
La troisième mesure consacre 1 milliard de dirhams à la modernisation de la formation professionnelle et à la création de passerelles entre la formation, l’université et l’emploi. Le programme vise à étendre la formation en alternance à 200.000 jeunes d’ici 2027 et à introduire cette approche dans l’enseignement supérieur. Il ambitionne à renforcer l’employabilité des jeunes et à répondre aux besoins des secteurs porteurs comme l’industrie, le numérique et les énergies renouvelables. « Néanmoins, son impact sur l’emploi risque de rester limité si les entreprises n’intègrent pas pleinement ces dispositifs et si la formation dispensée ne s’aligne pas effectivement sur les besoins réels du marché du travail.
Le PLF 2026 prévoit aussi un programme de développement territorial intégré (PDTI), doté de 20 milliards de dirhams, pour créer des emplois locaux et favoriser l’inclusion économique dans les zones rurales et montagneuses. En 2026, 2,8 milliards seront mobilisés pour la réhabilitation de 77 centres ruraux émergents, soutenus par le Fonds de développement territorial intégré, garant d’un financement durable.
« Ce programme devrait avoir un impact positif sur l’emploi local, en particulier dans les zones rurales souvent délaissées par les investissements. En finançant la réhabilitation des infrastructures et en soutenant les activités économiques de proximité, il peut générer des emplois temporaires dans les chantiers et encourager la création d’emplois durables dans les secteurs de l’artisanat, de l’agriculture, du commerce local et des services. Toutefois, son efficacité dépendra de la bonne gouvernance des projets et de la capacité à impliquer les acteurs locaux dans leur mise en œuvre », affirme-t-elle.
L’Etat mise également sur un investissement public record de 380 milliards de dirhams, contre 340 milliards en 2025. Ces investissements toucheront les infrastructures, le transport, l’énergie et l’eau, avec des projets structurants tels que l’extension du TGV Kénitra–Marrakech, les ports de Dakhla Atlantique et Nador West Med, la modernisation de cinq aéroports et la construction de nouveaux barrages. Ces chantiers devraient générer de nombreux emplois directs et indirects et stimuler la croissance dans divers secteurs.
« Cependant, explique notre source, cette dynamique d’investissement risque de privilégier surtout des emplois temporaires, liés à la phase de construction des grands chantiers. Ces postes, par nature précaires, offrent un soulagement conjoncturel sans garantir une insertion durable, à moins d’être accompagnés par des politiques de formation et de reconversion adaptées ».
Transformer les annonces budgétaires en réalités tangibles
Dr Soumaya Belkasseh estime, par ailleurs, que « malgré ses ambitions et les moyens mobilisés, le projet de loi de Finances 2026 reste confronté à un défi de taille : transformer les annonces budgétaires en améliorations tangibles pour les citoyens. Les mesures prévues en faveur de l’emploi, de la formation et de l’investissement témoignent d’une volonté politique réelle, mais elles demeurent insuffisantes pour répondre à la profondeur des inégalités sociales et territoriales ».
« Les revendications de la rue, centrées sur la santé, l’éducation et l’emploi, traduisent une attente urgente de résultats concrets, notamment pour les jeunes confrontés au chômage, à la précarité et au manque de perspectives. Tant que les politiques publiques resteront marquées par la lenteur d’exécution, la bureaucratie et une faible coordination institutionnelle, leur impact restera limité », constate-t-elle. Et de conclure : « Le PLF 2026 ne pourra réussir que s’il s’accompagne d’une réforme structurelle de la gouvernance, d’un meilleur suivi des programmes et d’une écoute réelle des besoins des territoires et des citoyens. Autrement dit, le risque est grand que ce budget, malgré ses chiffres ambitieux, ne parvienne pas à apaiser les frustrations sociales ni à restaurer la confiance dans l’action publique ».
Hassan Bentaleb










