L’économique pour sceller l’entente politique

Le Challenge pragmatique voulu par Rabat et Madrid


Hassan Bentaleb
Vendredi 3 Février 2023

Consolider les relations bilatérales en dépit des remous géopolitiques

La visite du chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez a pris fin jeudi après une série de réunions avec les représentants du monde politique et des affaires du Maroc. L’objectif était de renforcer les liens entre les deux Royaumes, notamment en matière de commerce et de migration. Qu’en est-il des vraies motivations de cette visite ? Ses enjeux et ses défis? Et qu’en est-il de l’avenir de ces relations ? Décryptage avec Abdellah Rami, chercheur au Centre marocain des sciences sociales, Université Hassan II (Casablanca).
 
Une relation inédite
 
« Il s’agit d’une visite qui vise à renforcer et à consolider les relations entre Rabat et Madrid dans un contexte international marqué par la mutation des variables géopolitiques et la guerre en mer Noire et son impact sur l’UE », nous a indiqué Abdellah Rami. Et de poursuivre : « A noter que cette relation  entre le Maroc et l’Espagne demeure inédite puisqu’elle s’est métamorphosée en un temps record, d’une relation tendue et conflictuelle à une relation de partenariat et d’amitié ».

Notre interlocuteur soutient, cependant, que cette visite se distingue de celle effectuée en avril dernier qui a été exceptionnelle et d’ordre stratégique puisqu’elle a chamboulé les lignes directrices de la politique étrangère espagnole. « Elle a été un pas inédit et à forte connotation stratégique dans l’histoire contemporaine de l’Espagne », observe-t-il. Et d’ajouter : « Par contre, la dernière visite a été de nature purement économique destinée à gérer les dossiers en rapport avec les intérêts  divers liant les deux pays », notamment ceux économiques. En effet, le chef du gouvernement espagnol a souligné qu'entre janvier et octobre de l'année dernière, 55,4% des exportations espagnoles vers l'Afrique étaient destinées au Maroc. A tel point que l'Espagne a atteint le chiffre de 9.870 millions d'euros d'exportations. Quant aux importations espagnoles sur la même période, elles ont atteint un record historique en enregistrant 7.271 millions d'euros. "La véritable ampleur de cette relation est mesurée par une autre valeur avec beaucoup plus de symbolisme", a assuré Pedro Sánchez. "Celle des 17.600 entreprises espagnoles qui exportent vers le Maroc", a-t-il assuré.

Pedro Sanchez a rappelé que l'Espagne est aujourd'hui le troisième investisseur au Maroc, ce qui a un impact direct sur l'emploi. Cette réalité, a-t-il assuré, est visible dans des secteurs comme le textile, l'agriculture ou l'industrie automobile, où plus de 20.000 emplois directs ont été générés. En ce sens, il existe aujourd'hui 674 entreprises espagnoles avec au moins 10% de capital marocain et 529 entreprises marocaines filiales d'entreprises espagnoles. Une forte implantation commerciale favorisée par l'ouverture de l'économie marocaine sur l'étranger. En ce sens, Pedro Sánchez a rappelé l'importance de l'Accord de libre-échange continental pour l'Afrique signé par la plupart des pays de la région et a souligné qu'à travers cet accord «le Maroc peut jouer un rôle clé pour les entreprises espagnoles en tant que plateforme d'entrée en Afrique subsaharienne ».
 
Des questions en suspens
 
« Il y a une relation vitale entre Rabat et Madrid, mais la grande question qui se pose aujourd’hui est de savoir si les investissements espagnols vont s’étendre jusqu’au Sahara marocain, ce qui va constituer une vraie reconnaissance de la marocanité du Sahara et un coup dur pour l’Algérie », s’interroge notre interlocuteur.   

Il se demande également si ce retour à la normale entre les deux pays est de l’ordre du naturel ou s’il s’agit d’une volonté d’installer une sorte d’équilibre dans la région après le coup de froid entre Rabat et Paris et le rapprochement entre cette dernière et Alger. «Autrement dit, s’agit-il d’un retour des relations diplomatiques spontané ou plutôt étudié et guidé par l’UE qui veut jouer le rôle d’équilibriste entre les puissances de la région en changeant les rôles entre l’Espagne et la France ? », s’est-il interrogé. Et de préciser : « Mais quelle que soit la réponse, nous sommes face à un environnement dynamique et en pleine mutation qui exige des choix clairs pour Paris comme pour Madrid.  Ce qui est sûr, c’est que la relation Maroc-Espagne est de nature stratégique pour Madrid  malgré le fait qu’elle se fait au détriment de l’Algérie. A rappeler que cette dernière a complétement refusé la reconnaissance espagnole de l’initiative d’autonomie présentée par le Maroc comme étant la base «la plus sérieuse, réaliste et crédible» pour la résolution de ce conflit artificiel autour du Sahara marocain. Idem pour la France qui est en train de perdre ses relations privilégiées avec le Maroc au profit d’Alger. En effet, et au vu de la situation de régression politique et diplomatique que vit aujourd’hui la France au niveau du continent africain, les stratèges français estiment que l’Algérie sera la porte d’entrée vers le Sahel et le point de départ pour récupérer sa domination sans oublier les besoins français en matière de gaz ».
 
Consensus
 
Qu’en est-il de l’avenir de cette relation ? « Tout dépend du renforcement et de l’élargissement de cette relation et de sa rentabilité pour les deux parties. Des relations fortes et enracinées deviennent très difficiles à remettre en cause. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de consensus sur l’importance des relations entre les deux pays même au sein du camp des opposants qui accepte le fait accompli. Il y a une évolution et tout l’enjeu est de capitaliser ces progrès et de les préserver », a conclu Abdellah Rami.

Hassan Bentaleb


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