-
Le Maroc et le Mexique, deux pays complémentaires appelés à renforcer leur coopération bilatérale
-
David Van Weel salue les réformes entreprises par le Maroc sous la conduite de SM le Roi Mohammed VI et les Initiatives Royales régionales
-
Les Pays-Bas affirment que l’autonomie sous souveraineté marocaine est la solution la plus réalisable au différend du Sahara
-
Quand le peuple renonce à son droit de choisir ses représentants, la démocratie se fragilise
Le Maroc dispose d’un capital hydraulique relativement exceptionnel, forgé depuis six décennies par une vision d’Etat continue et ambitieuse. Les infrastructures issues de cette vision – rares en Afrique – auraient dû constituer un rempart durable face à la raréfaction des ressources. Toutefois, elle se trouve aujourd’hui fragilisée par des failles de gouvernance, des hésitations stratégiques et une exécution publique incapable de transformer cet héritage en véritable sécurité hydrique.
Plus qu’un simple enjeu environnemental, l’eau est devenue un miroir sans indulgence : elle révèle le déficit de coordination, la lenteur décisionnelle, les contradictions politiques et même l’érosion de la confiance citoyenne. Elle constitue l’un des tests les plus fiables pour mesurer la capacité du pays à affronter les transformations climatiques, économiques et sociales qui redessinent son avenir.
1. Un héritage hydraulique majeur… mais une exécution gouvernementale défaillante
Depuis les années 1960, Feu Hassan II a fait de la politique des barrages un pilier stratégique de la souveraineté nationale, inscrivant l’eau au cœur d’une vision de long terme. Ce choix fondateur a permis au Maroc d’accumuler un capital hydraulique exceptionnel. SM le Roi Mohammed VI a ensuite prolongé et modernisé cet héritage en ouvrant une nouvelle phase : généralisation du dessalement, réutilisation des eaux usées, gestion intégrée par bassin, numérisation des données et lancement de projets structurants comme le canal Méditerranée–Atlantique. Avec plus de cent cinquante barrages et certaines des plus grandes stations de dessalement d’Afrique, le Maroc s’est ainsi forgé une architecture hydrique unique sur le continent.
Ce socle stratégique a évité au pays un effondrement hydrique au moment où la disponibilité naturelle de cette ressource se contracte fortement. La dotation annuelle par habitant est désormais d’environ cinq cent cinquante mètres cubes, plaçant officiellement le Maroc dans la zone de pénurie structurelle. Les acquis colossaux du Maroc, grâce aux politiques éclairées des deux Souverains n'épargnent cependant pas le pays de faire face à un certain nombre de défis. En effet, les signaux d’alerte se multiplient : pertes de réseau pouvant atteindre quarante pour cent, envasement préoccupant des barrages faute de programmes de dragage adaptés, surexploitation chronique des nappes phréatiques, extension des forages illégaux et faiblesse des agences de bassin, faute de moyens nécessaires devant leur permettre d'assurer une surveillance efficace des modalités d'utilisation de cette ressource.
Le problème ne concerne pas uniquement l’infrastructure, mais aussi la gouvernance. Entre une vision Royale claire, continue et ambitieuse, et une action gouvernementale fragmentée, lente et réactive, l’écart s’est dangereusement creusé. Au lieu de transformer ce patrimoine stratégique en véritable sécurité hydrique durable, l’exécutif s’est enfermé dans une gestion au jour le jour qui ignore la profondeur des bouleversements en cours. La crise hydrique actuelle révèle moins un manque d’eau qu’un déficit de cohérence, de pilotage et d’anticipation.
2. Quand la crise de l’eau devient une crise économique, alimentaire et sociale
L’eau est désormais un multiplicateur de vulnérabilités. Dans un pays où l’agriculture absorbe quatre-vingt-sept pour cent des ressources mobilisées, la moindre tension hydrique se transforme instantanément en choc économique et social. Les sécheresses successives ont réduit les superficies irriguées, affaibli les rendements et accéléré une dépendance préoccupante aux importations : soixante pour cent du blé tendre et quarante pour cent des céréales pour couvrir les besoins du pays sont importés de l'étranger, et une part croissante de l’eau du pays est exportée sous forme d'"eau virtuelle”, comme le décrit la FAO, via les produits agroalimentaires achetés sur les marchés internationaux.
Cette dépendance fragilise directement la souveraineté alimentaire et expose l’économie nationale aux fluctuations mondiales. Dans plusieurs régions, les revenus agricoles s’effritent, alimentant un exode rural structurel qui pousse les populations vers des villes déjà sous tension. Les centres urbains, confrontés à une pression croissante sur les réseaux, voient s’accentuer les inégalités d’accès, les rationnements discrets et une défiance silencieuse des citoyens. L’instabilité des prix alimentaires, la fragilité des chaînes de distribution et la vulnérabilité des ménages révèlent qu’il ne s’agit plus d’une crise environnementale isolée, mais d’une crise systémique qui menace la cohésion sociale.
Cette fragilité est amplifiée par des choix politiques déconnectés des réalités hydriques.
Certaines cultures extrêmement consommatrices d’eau continuent d’être encouragées dans des bassins déjà en déficit chronique. La loi 36-15 sur l’eau, qui devait constituer un instrument juridique moderne et protecteur, pâtit d’une application fragmentaire : contrôles faibles, sanctions rares, autorisations de pompage délivrées sans toujours tenir compte des données hydrologiques, et manque d’arbitrages territoriaux cohérents. Tant que la politique hydrique restera dissociée des stratégies agricoles, énergétiques et industrielles, aucune souveraineté alimentaire durable ne pourra être assurée.
3. Le stress hydrique comme vérité scientifique… et comme défaite politique
Le stress hydrique n’est plus un concept théorique : c’est désormais une réalité structurelle mesurée scientifiquement. Passer sous le seuil des mille mètres cubes par habitant signifie entrer en pénurie; descendre sous les cinq cents, c’est franchir la zone critique des nations les plus vulnérables. Le Maroc se trouve aujourd’hui dans cette zone, tandis que les projections du GIEC annoncent une baisse potentielle de quarante pour cent des ressources d’ici 2050. La multiplication des vagues de chaleur, la réduction des précipitations et l’évaporation accrue exigent des arbitrages courageux et une gouvernance unifiée. Cependant, la réponse gouvernementale demeure lente, fragmentée et largement insuffisante face à la gravité du moment.
La mise en œuvre de la loi 36-15 illustre cette défaillance. Ce texte, qui devait constituer l’épine dorsale de la politique hydrique, n’est appliqué qu’à moitié. Les forages illégaux prolifèrent, révélant une incapacité manifeste à faire respecter la norme. Les autorisations de pompage sont parfois délivrées sans intégrer des données hydrologiques actualisées.
Les agences de bassin manquent de systèmes de surveillance fiables et de moyens réels d’intervention. La coordination interministérielle – pourtant essentielle dans un contexte de pénurie – reste faible. Le stress hydrique devient alors le révélateur d’un Etat qui peine à tenir compte des données scientifiques en la matière, à en tirer les enseignements nécessaires, à imposer le respect des règles qui s'en suivent, et à assurer la cohérence des arbitrages publics.
Face à cette situation, l’intégration du Nexus eau-énergie-alimentation n’est plus une option mais une urgence nationale. Produire un kilo d’amandes nécessite près de douze mille litres d’eau; un kilo de tomates, cent quatre-vingts litres. Aucun secteur agricole, énergétique ou urbain ne peut être crédible s’il ignore le coût hydrique réel des activités. Le Maroc doit opérer une transformation systémique fondée sur l’efficience : réduire les pertes, moderniser les réseaux, digitaliser le suivi, renforcer les agences de bassin, responsabiliser les usagers agricoles et reconfigurer les cultures selon leur empreinte hydrique. Cette réforme implique également d’accorder aux régions un rôle décisionnel clair, doté de ressources financières et d’obligations de résultats. L’eau n’étant pas distribuée uniformément sur le territoire, la gouvernance ne peut, elle non plus, rester uniforme.
Conclusion : la ressource est rare, mais elle continue d'exister, les contours de la vision sont définis, mais la volonté politique doit suivre.
Le Maroc possède un capital hydraulique qui demeure exceptionnel, malgré la succession des années de sécheresse, et ce grâce à des choix Royaux visionnaires. Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas tant l’infrastructure, ou l’expertise technique, que la cohérence, l’audace et la volonté politique. L’eau n’est pas un dossier sectoriel : c’est l’ossature de la souveraineté, de la sécurité alimentaire, de la stabilité sociale et de la continuité de l’Etat. A ce titre, elle doit devenir le centre de gravité d’un nouveau pacte national fondé sur la science, l’équité territoriale, la maîtrise des usages et l’application stricte de la loi.
Mais ce pacte ne se décrète pas : il se construit autour de ruptures nécessaires et de réformes concrètes. La première consiste à refonder la gouvernance hydrique en instaurant une autorité nationale de l’eau dotée de pouvoirs de contrôle, de sanction et d’arbitrage, exemptées des lenteurs ministérielles. La seconde exige la révision du modèle agricole en fonction de l’empreinte hydrique réelle: réduire les cultures gourmandes en zones déficitaires, valoriser les productions résilientes, encourager l’innovation agronomique et conditionner les aides publiques à l’efficience. La troisième repose sur la territorialisation de la décision: donner aux régions la capacité d’agir, avec des budgets propres, des données disponibles et des obligations de résultats mesurables.
A cela s’ajoute la nécessité d’un basculement technologique : généralisation de la digitalisation des réseaux, comptage intelligent, télésurveillance des forages, lutte totale contre les pertes, réutilisation massive des eaux usées traitées et intégration de la production d’eau non conventionnelle (dessalement, recharge artificielle des nappes, captation du brouillard dans certaines zones). Enfin, la loi 36-15 doit être appliquée sans concession : contrôles renforcés, sanctions effectives, lutte contre les pompages anarchiques et mise en cohérence des politiques hydriques, agricoles, urbaines et industrielles.
L’eau peut devenir le moteur d’un Maroc résilient, sûr de lui et souverain. Le pays a tout pour transformer la contrainte hydrique en levier de puissance, comme l’ont fait l’Espagne et l’Australie. Mais cela suppose une rupture nette avec la gestion au jour le jour. Ce dont le Maroc a besoin aujourd’hui, ce n’est pas d’un slogan de plus, mais d’un Etat disposant d'une vision stratégique dans le domaine hydrique et capable de décider. La bataille de l’eau a déjà commencé. La gagner dépend désormais de notre capacité collective à faire de l’hydraulique non pas un secteur, mais une vision nationale.
Par Mohamed Assouali
Secrétaire provincial de l’USFP – Tétouan










