L’artiste algérien Aghilès Issiakhem peint le mal-être de sa génération


AFP
Lundi 26 Décembre 2011

Pour un jeune ici, il n’y a rien: fuir à l’étranger ou entrer dans la drogue, l’alcool», s’écrie Aghilès Issiakhem, 22 ans, devant une série de portraits de camarades errants dans les rues d’Alger sans diplôme, sans travail, sans avenir.
Petit neveu de l’un des fondateurs de la peinture moderne algérienne, Mohammed Issiakhem mort en 1985, Aghilès évoque devant l’AFP ceux qui, en janvier 2011, sont descendus dans les rues aux côtés des émeutiers contre les hausses de prix du sucre et de l’huile, cassant, détruisant nombre de commerces. Le bilan des affrontements avec les forces de l’ordre fut lourd: cinq morts et des centaines de blessés.
«Je me mets à la place de ces jeunes car je me sens concerné, même si d’une certaine manière j’ai la possibilité de pouvoir m’exprimer», dit-il montrant l’énorme portrait au fusain d’un jeune «hittiste» (le surnom en Algérie des jeunes hommes adossés à un mur dans la rue faute d’activité) l’attitude arrogante mais le regard désespéré.
«Je suis dans leur émotion», raconte-t-il. Car lui aussi traîne dans les rues d’Alger, va voir les jeunes, ses amis, les écoute des nuits entières parler de leur incapacité à trouver un travail -les moins de 35 ans constituent les deux-tiers des chômeurs en Algérie- ou à pouvoir suivre des études universitaires, faute de moyens et de logements dans ce pays richissime, rentier de ses hydrocarbures.
Au petit matin, après avoir scruté les murs - «les murs sont des toiles» - il rentre «épuisé» chez sa mère et son frère. Il recommence le lendemain, toujours à l’affut de cette misère humaine qu’il détecte aussi dans la maladie.
«Schizophrénie»
Ce natif d’Azzefoune, village côtier de Kabylie à 165 km à l’est d’Alger, a vu, enfant, des émeutes lancées par des jeunes contre le pouvoir en avril 2001: «J’ai toujours en mémoire les images, le sang, les balles en caoutchouc, les voitures et les pneus brûlés».
Aghilès, évoque une «schizophrénie». Par périodes, «je disparais des semaines durant dans ma chambre. Je me mets en solitude. Je rentre en transe, je rejette tout sur le carton ou la toile», raconte avec lenteur ce jeune homme à la barbe fine en forme de bouc, regard intense, aussi triste que ses portraits et abstractions sombres aux couleurs délavées. Il se dit «obsédé par le cancer» qui cause de «ravages» autour de lui, avoue-t-il devant le portrait d’un jeune ivre de douleur, exposé en novembre dans la galerie algéroise «Art 4 You».
Ce descendant du grand Mohammed Issiakhem a déjà exposé six fois, dont la première à l’âge de sept ans et a participé au 2e Salon d’Automne du ministère de la Culture en 2010. Le commissaire du salon, Dokman, un autre peintre algérien, lui trouve «un talent très prometteur».
«Ce n’est pas pour faire de l’argent. Cela sort de ses tripes», estime Dokman qui regrette le peu d’intérêt manifesté dans son pays, selon lui, pour les vrais artistes.
«Il y a du travail, de la recherche dans les formes et l’essence d’un grand», juge le mécène algérien Yacine Gougelin. «Il y a certainement une stylisation, des visages croqués à la manière de son grand-oncle, avec parfois une petite touche à la Basquiat», ajoute ce collectionneur, en référence au peintre rebelle mort à New York en 1988, un an avant la naissance d’Aghilès.
Le petit Issiakhem ressent pour son ancêtre «admiration et fierté», alors qu’il n’a découvert son œuvre qu’il y a quatre ans à son arrivée à Alger, après le décès de son père, médecin.


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