L’USFP pour une réforme de la sécurité sociale revue et corrigée

Moderniser les institutions, sécuriser les équilibres financiers, mais surtout réconcilier les citoyens avec l’idée même de solidarité organisée


Libé
Mercredi 31 Décembre 2025

L’USFP pour une réforme de la sécurité sociale revue et corrigée
A l’heure où l’année s’achève et où le Maroc s’accorde ce moment suspendu propice aux bilans lucides, le débat autour du régime de sécurité sociale s’impose comme l’un des révélateurs les plus parlants des lignes de fracture qui ont traversé la vie politique nationale ces douze derniers mois. Plus qu’un simple épisode parlementaire, le rejet par l’Union socialiste des forces populaires du projet de loi n°02.24 apparaît, avec le recul, comme un symptôme. Celui d’une tension persistante entre l’ambition affichée de bâtir un Etat social solide et la réalité d’un processus législatif marqué par la verticalité du pouvoir et l’effacement du débat pluraliste.

L’année aura été rythmée par un mot devenu omniprésent dans le discours public : généralisation de la protection sociale. Portée au sommet de l’Etat comme un chantier stratégique, presque civilisationnel, cette promesse a nourri de fortes attentes au sein de la société. Elle a aussi placé le gouvernement devant une responsabilité historique. Adapter les textes fondateurs, moderniser les institutions, sécuriser les équilibres financiers, mais surtout réconcilier les citoyens avec l’idée même de solidarité organisée. C’est précisément sur ce terrain que s’est jouée la confrontation entre l’exécutif et l’opposition ittihadie.

Lorsque le projet de réforme du Dahir de 1972 relatif au régime de sécurité sociale arrive au Parlement, il est présenté comme un texte technique, destiné à accompagner les transformations internes de la CNSS et à fluidifier la mise en œuvre des engagements sociaux conclus avec les partenaires économiques. Mais très vite, la discussion déborde le cadre administratif. Pour l’USFP, il ne s’agit pas d’un simple ajustement juridique, mais d’un moment de vérité sur la conception du modèle social marocain. Le rejet du texte n’est alors ni un réflexe d’opposition systématique ni un calcul politique à courte vue. Il s’inscrit dans une lecture plus globale de l’évolution des pratiques institutionnelles depuis le début de la législature.

Au fil des mois, un grief revient avec insistance dans la bouche des députés socialistes : celui d’un gouvernement qui gouverne seul, fort de sa majorité numérique, mais sourd aux propositions alternatives. Le rejet des 45 amendements déposés par le Groupe socialiste, sans réelle discussion de fond, a été vécu comme une rupture. Non pas seulement une divergence d’opinions, mais une remise en cause du rôle même du Parlement comme espace de construction collective de la loi. Dans un domaine aussi sensible que la protection sociale, cette méthode a été perçue comme un signal inquiétant.

La critique ittihadie s’est articulée autour d’une idée centrale : la protection sociale ne peut être gérée comme un chantier technocratique déconnecté des principes juridiques et des équilibres sociaux. Pour l’USFP, l’ancrage légal des missions de la CNSS constitue une ligne rouge. Laisser une part excessive aux conventions ou à des montages institutionnels flexibles, c’est prendre le risque d’une extension incontrôlée des compétences, susceptible d’affaiblir la caisse à long terme et de créer des zones grises dans la gouvernance du système. Avec le recul de l’année écoulée, cette inquiétude résonne d’autant plus fortement que la question de la soutenabilité financière de la protection sociale s’impose déjà dans le débat public.

Un autre point de crispation majeur a concerné la frontière entre assurance et prestation de soins. En rappelant le principe universel selon lequel un assureur ne peut être juge et partie, l’USFP a voulu replacer le débat dans une perspective éthique autant que juridique. La séparation entre ceux qui financent le risque et ceux qui fournissent les services n’est pas un détail technique. Elle conditionne la transparence du système, la confiance des assurés et l’équité dans l’accès aux soins. A travers cette critique, c’est une certaine idée du service public social qui a été défendue, face à des logiques de gestion jugées trop proches du monde marchand.

L’année aura aussi mis en lumière une autre fracture, plus politique encore : celle du rapport aux corps intermédiaires. En limitant le droit de proposition aux seules organisations syndicales et professionnelles dites les plus représentatives, le gouvernement a ouvert un débat sensible sur le pluralisme syndical. Pour l’USFP, cette orientation traduit une vision restrictive du dialogue social, en décalage avec l’esprit de la Constitution. Elle pose une question de fond qui dépasse largement le seul projet de loi : qui parle au nom des travailleurs dans le Maroc d’aujourd’hui, et selon quelles règles ?

A ces enjeux institutionnels se sont ajoutées des préoccupations sociales concrètes, ancrées dans le quotidien des citoyens. La question des délais de recours, des sanctions jugées insuffisamment dissuasives contre les employeurs fraudeurs, ou encore du silence de l’administration face aux réclamations, renvoie à une réalité bien connue des salariés. Une protection sociale qui tarde à s’appliquer, qui laisse prospérer la non-déclaration ou qui avantage de fait les employeurs au détriment des travailleurs, perd rapidement sa crédibilité. Là encore, le rejet du projet de loi s’inscrit dans une vision plus large de la justice sociale comme condition de la paix sociale.

Impossible enfin de dissocier ce débat de son contexte économique. L’année écoulée aura été marquée par une flambée persistante des prix et une pression croissante sur le pouvoir d’achat. En appelant à ouvrir un débat sur la revalorisation des salaires et l’amélioration des revenus, l’USFP a rappelé une évidence souvent reléguée au second plan : la protection sociale ne peut compenser durablement des rémunérations insuffisantes. Elle doit s’inscrire dans une politique globale de redistribution et de dignité du travail.

Face à cette critique structurée, le gouvernement, par la voix de la ministre de l’Economie et des Finances, a défendu une lecture pragmatique du texte. Adapter la CNSS, moderniser sa gouvernance, améliorer ses services, honorer les engagements du dialogue social. Des objectifs légitimes, mais qui, à l’épreuve du débat parlementaire, n’ont pas suffi à dissiper le sentiment d’un passage en force.

Avec le recul qu’autorise la fin de l’année, ce bras de fer autour du régime de sécurité sociale apparaît comme l’un des moments politiques les plus significatifs de 2025. Il révèle une tension non résolue entre ambition sociale et méthode démocratique, entre efficacité revendiquée et inclusion réelle des voix divergentes.

A l’aube d’une nouvelle année, alors que le chantier de la protection sociale entre dans une phase décisive, une question demeure ouverte : le Maroc saura-t-il transformer cette promesse historique en projet véritablement partagé, ou continuera-t-il d’avancer au prix d’un débat amputé ? C’est sans doute là l’un des enjeux majeurs qui pèsera sur les mois à venir.


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