Karan Johar, du rêve d’enfant au sommet de Bollywood

Mardi 9 Décembre 2025

Karan Johar, du rêve d’enfant au sommet de Bollywood
L’industrie cinématographique ne figurait pas parmi les centres d’intérêt du milieu social où a vécu la star indienne Karan Johar, même si son père fut un producteur reconnu.

Dès son plus jeune âge, il a néanmoins été irrésistiblement attiré par cet univers fascinant: les décors, l’harmonie des couleurs, l’élégance des costumes et toutes ces subtilités qui font d’un film une œuvre capable de séduire autant l’œil que le cœur.

Les chansons classiques indiennes représentaient également "une part de son identité" et ont servi de véritable passerelle vers Bollywood, a-t-il confié vendredi soir, lors de sa participation au programme phare "Conversations", dans le cadre de la 22e édition du Festival international du film de Marrakech.

Contre toute attente, son père, le réalisateur et producteur renommé Yash Johar, s’opposait à ce que son fils s’aventure dans cet "univers instable qu’est Bollywood". "Je me faufilais hors de la maison pour aller au cinéma", confie Karan, le sourire tranquille, comme en quête d’une échappatoire vers sa passion, bridée par un environnement peu encourageant et la crainte paternelle que Bollywood ne dévore ses ambitions.
 
Un secours salvateur !

Une coïncidence inattendue lui ouvrira finalement une issue salvatrice grâce à l’intervention du célèbre Shah Rukh Khan. À cette époque, Johar tentait seul de se faire une place "sous le feu" de Bollywood, tout en travaillant comme assistant réalisateur sur un film.

C’est sur ce tournage que Johar rencontre pour la première fois Shah Rukh Khan. Chargé de l’accompagner dans le choix des costumes de son personnage, ce qui n’était au départ qu’un simple échange professionnel se transforme rapidement en une "alchimie humaine" exceptionnelle entre les deux hommes.

"Au fil de nos échanges sur le plateau, cette alchimie surprenante est née, à tel point que j’en suis venu à le considérer comme un membre de ma propre famille", confie-t-il.
Ce qui n’était au départ qu’une rencontre fortuite entre une star internationale et un jeune technicien s’est rapidement transformé en la révélation d’une nouvelle voix créative destinée à marquer le cinéma indien : celle de Karan Johar.

En 1998, grâce au soutien de son ami, Johar signe son premier long métrage, "Kuch Kuch Hota Hai", qui secoue Bollywood en réunissant Shah Rukh Khan, Kajol et Rani Mukherjee. Le film connaît un succès retentissant et s’impose comme l’une des œuvres les plus emblématiques du cinéma indien contemporain.

Ce film constituait une véritable rupture avec les codes dominants de Bollywood, indique le cinéaste. Pourtant, malgré l’enthousiasme suscité, les premiers jours furent marqués par le doute. Johar choisit même de partir à Londres pour prendre du recul face au tumulte provoqué par son succès. "J’ai traversé des moments de grande tension juste après la sortie du film", confie-t-il, "sans me rendre compte que je venais de vivre une consécration majeure".

Johar souligne l’importance de Shah Rukh Khan dans sa carrière et qualifie leur relation de "dynamique", l’acteur se révélant souvent comme "un véritable sauveur, intervenant aux moments critiques et apportant des solutions artistiques et techniques lorsque les tournages se compliquent".

L’un des principaux atouts de Johar réside dans sa parfaite maîtrise du langage musical propre au cinéma indien. Selon lui, les scènes chantées nécessitent souvent de longues journées de tournage, et la moindre erreur peut imposer de reprendre la séquence depuis le début. Tout repose sur la coordination entre le réalisateur et le chorégraphe, un exercice dans lequel il excelle.

Fort de son expérience parmi les figures majeures de l’industrie indienne depuis vingt-cinq ans, Johar précise que le film bollywoodien ne se réduit pas à une simple succession d’images et de dialogues : il constitue un univers complet d’émotions, que les chansons viennent amplifier et sublimer.
 
Une expérience sensorielle

Un simple moment d’émotion, poursuit-il, "pourrait se tourner n’importe où, dans un café ou un bus. Mais dans notre cinéma, ce même instant peut se dérouler sur une chaise, en plein espace public, sous la pluie, pour intensifier les sentiments. C’est ce qui rend notre cinéma unique".

"Parce que les films indiens regorgent d'émotions, mes œuvres ont tendance à être longues", confie-t-il, notant que ses films dépassent parfois trois heures, un film de deux heures étant souvent perçu comme incomplet.

Pour Johar, cette relation particulière avec le public est cruciale : voir un film ne se limite pas à suivre une intrigue, c’est vivre une expérience conçue pour atteindre les émotions les plus profondes du spectateur.

Son film Never Say Goodbye (Kabhi Alvida Naa Kehna), qui explore l’infidélité conjugale, marque une étape importante dans son parcours. “Shah Rukh Khan hésita longtemps avant d’accepter le rôle, craignant de surprendre un public habitué à le voir en amant idéal, avant de finalement se lancer", explique le réalisateur.

Le cinéaste s’est également intéressé au thème de "l’amour éternel", notamment dans "Vivre sans toi est impossible, mon cœur". Ce film lui a permis de surmonter une profonde peine sentimentale.

Devant un public de passionnés à Marrakech, le réalisateur, scénariste, acteur et producteur a exprimé sa profonde gratitude pour l’accueil reçu. "J’ai beaucoup apprécié le Maroc, son peuple et ce festival. Je suis venu ici pour la première fois en 2012, et je retrouve aujourd’hui la même chaleur, le même enthousiasme", a-t-il dit.

Quant à l’héritage qu’il pourrait laisser, il se montre peu préoccupé. "Ce n’est pas une question qui m’intéresse", assure-t-il, ajoutant que l’essentiel réside dans la poursuite de son œuvre avec ambition, tout en gardant le réalisme de celui qui "cherche constamment l’équilibre entre exigences artistiques et contraintes financières".

Aujourd’hui reconnu comme l’un des cinéastes les plus influents du cinéma indien contemporain, Johar résume son parcours en quelques mots : "L’échec t’enseigne, la réussite te motive. L’essentiel est d’apprendre des chutes et d’avancer vers le prochain projet".

Par Samir Benhatta (MAP)

Libé

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