Jusqu'où peut allerla légalité des prorogations répétées de l'état d'urgence ?

Le problème ne devrait même pas être posé en temps de crise

Le problème réside plutôt dans le degré de la confiance accordé aux institutions


Hassan Bentaleb
Jeudi 10 Septembre 2020

L’ état d’urgence sanitaire sera prorogé jusqu’au 10 octobre prochain au Maroc. Le projet de décret y afférent a été approuvé avant-hier par le Conseil du gouvernement. Cette nouvelle prorogation va permettre l’adoption de mesures nécessaires pour lutter contre le coronavirus tout en prenant compte de l’évolution de cette pandémie.

Ce projet de décret permettra également au ministère de l’Intérieur de prendre, à la lumière de l’état de propagation de la pandémie et en collaboration avec les autorités concernées, les mesures nécessaires au niveau national. Il permettra aussi aux walis et aux préfets de prendre les mesures adéquates au niveau des provinces et communes.

Cet énième prolongement est-il légal ? « Il est tout à fait légal et il est instauré conformément à la Constitution et aux textes de loi portant sur les droits fondamentaux. Le processus de prolongation de l’état d’urgence est également légal », nous a répondu Hicham Berjaoui, enseignantchercheur à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. Et de poursuivre : « La question de l'illégalité ne se pose même pas puisque l’ensemble des systèmes juridiques donnent droit aux autorités publiques, en temps de crise, de déroger à certaines garanties constitutionnelles et de restreindre l'exercice de droits et libertés fondamentaux ».

Rappelons-nous, à titre d’exemple, de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui stipule que «dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale».

Il faut ajouter également la Convention européenne des droits de l'Homme qui évoque l’état d’urgence. Son article 15 mentionne, en effet, qu’«en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international».

Notre interlocuteur estime que le débat sur la prorogation de l’état d’urgence n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas une crise de confiance dans les institutions. « Cette crise est mondiale et concerne même les anciennes démocraties. Les citoyens ne se sentent plus représentés dans les institutions et cherchent, via de nouvelles formes de mobilisation collectives, à s’organiser et à revendiquer leur droit à la représentativité », nous a-t-il expliqué.

Et d’ajouter : « Dans le cas du Maroc, la situation est identique et elle est amplifiée par l’inertie des institutions représentatives habilitées à contrôler et suivre la mise en place de l’instauration de l’état d’urgence et son déroulement ». Mais cette situation ne risque-t-elle pas de s’amplifier davantage avec une hégémonie des walis et des gouverneurs pendant cet état d’urgence ? « Leur pouvoir a été effectivement davantage étendu et cela est dû à la nature même de cette crise qui est d'essence sanitaire, et qui exige des réponses techniques et non politiques. A ce propos, je trouve insensé le débat soulevé dernièrement par la presse nationale sur l’instauration d’un gouvernement d'union nationale puisque nous sommes face à une crise sanitaire et non pas politique », nous a-t-il expliqué.

Et de conclure : « Pourtant, ces derniers temps, nous pouvons constater une relocalisation des décisions du centre vers la périphérie. Autrement dit, on assiste à un renforcement de la gestion décentralisée. Prenez l’exemple du ministère de l’Education nationale qui a délégué aux académies et aux présidents des universités le planning des examens et la gestion de la rentrée. Bref, nous sommes en train de passer d’une gestion très centralisée de la crise vers une approche plus décentralisée impliquant les acteurs locaux ».

Hassan Bentaleb


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