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Jackpot à l’horizon 1,2 million d’emplois promis

Le rêve est permis à moins que la réalité ne s’apparente pas à un cauchemar


Hassan Bentaleb
Vendredi 13 Avril 2018

Le plan a l’air ambitieux voire trop même ! Créer 1.200.000 emplois, accompagner la création de plus de 20.000 petites unités économiques et préserver un taux d’activité supérieur à 46%  durant la période 2018-2021 ... Tels sont les objectifs du programme exécutif du Plan national de l’emploi qui a été adopté mercredi dernier lors de la réunion du Comité interministériel de l’emploi présidée par le chef du gouvernement. Ce programme a également pour ambition d'améliorer l'employabilité de plus d'un million de chercheurs d'emploi et d'appuyer l’emploi rémunéré au profit de 500.000 chercheurs d’emploi.
Des objectifs qui ont laissé perplexes plusieurs spécialistes qui en ont remis en cause la faisabilité dans un climat économique morose.
Hicham Attouch, président du Forum des économistes marocains (FEM), en fait partie. Selon lui, ce programme suscite plusieurs remarques. D’abord au niveau de la définition même du mot « emploi ». « Le communiqué ne précise pas s’il s’agit de création nette d’emplois ou d’autre chose. En fait, le marché national de l’emploi souffre de la destruction des emplois créés et peu de chiffres circulent sur le nombre de postes de travail créés par rapport à ceux qui ont été perdus. La seule administration capable de fournir  pareilles statistiques est la CNSS mais cette dernière ne publie pas de telles données. Elle a même changé de structure  de publication des chiffres relatifs à l’emploi pour camoufler le nombre de ceux qui ont été détruits ou qui sont non déclarés », nous a-t-il expliqué.
La nature de ces emplois pose également question. «  En fait, rien n’a été dit sur le caractère des postes qui vont être créés. S’agit-il d’emplois précaires, d’emplois stables, d’emplois à durée déterminée ou s’agit-il plutôt d’emplois  créés dans le cadre de programmes étatiques comme ceux qui ont été mis en place par l’ANAPEC ? ».
La troisième remarque concerne l’accompagnement de la création des 20.000 petites unités économiques annoncées. Le président du FEM s’interroge sur la nature de cet accompagnement puisque l’économie marocaine souffre d’un taux de mortalité des PME qui est très élevé comme en attestent plusieurs statistiques publiées notamment au cours  des deux dernières années.  «L’accompagnement ne doit pas être seulement axé sur la création de PME mais être articulé de telle sorte qu’il puisse leur permettre de s’inscrire dans la durée. En fait, nous ne disposons pas d’un réel processus d’accompagnement.
Actuellement, ce processus se résume à l’établissement d’un business plan, dispenser des cours de formation et soutenir les PME avec des sommes modiques alors que l’accompagnement dépasse largement ce seuil », nous a-t-il expliqué.
Autre remarque et non des moindres concerne la création de 1,2 million de postes de travail en quatre ans. Notre interlocuteur estime que le fait de créer 300.000 postes par an d’ici 2021 est dérisoire au regard des flux d’actifs qui débarquent chaque année sur le marché du travail et du  nombre des emplois détruits sans parler de la qualité même des postes d’emploi créés. A noter que l’économie marocaine n’a généré que 74.000 postes de travail entre le 2ème trimestre de 2016 et la même période de 2017.
Notre expert est catégorique. Les chiffres du Plan national de l’emploi sont des promesses en l’air et rappellent les  engagements sans lendemain  pris précédemment et  notamment ceux qui ont eu pour cadre les dernières Assises de l’emploi. « En fait, le Maroc ne s’est jamais doté d’une véritable politique de l’emploi. Les responsables se sont souvent contentés d’établir les mêmes programmes et les mêmes plans sous de nouvelles appellations. Depuis 1999, ces responsables ne font qu’agréger  des postes d’emploi sans une vision claire et à long terme », nous a-t-il précisé.  
Et qu’en est-il des promesses d’emploi lancées dans le cadre des plans de développement sectoriels (Pacte national pour l'émergence industrielle, Plan Maroc Vert, Plan Halieutis, Stratégie énergétique, Stratégie OCP, Plan Maroc numérique, Vision 2015 pour le développement de l'artisanat…) ?  « Certains plans ont pu fonctionner, d’autres pas. C’est le cas du Plan Emergence qui a fait ses preuves au niveau de l’offshoring et de l’automobile et pas dans le secteur du  textile. Mais en règle générale, la capacité de ces plans à créer de l’emploi reste très réduite car notre système de formation n’est pas adéquat. Et souvent, on est face à l’inadéquation des profils par rapport aux emplois créés », nous a indiqué Hicham Attouch. Et de poursuivre : « Ceci d’autant plus qu’il n’y a pas d’évaluation réelle de ces plans pour savoir s’il y a création suffisante d’emplois ou pas. On se contente souvent des bilans de réalisation sans plus. Prenez  le cas du Plan Emergence devenu Plan national d’émergence industrielle   avant d’être de nouveau  débaptisé et prendre l’appellation de Stratégie  d’accélération industrielle. On est  passé d’un plan à un autre sans faire la moindre évaluation de ce chantier. Et c’est le cas pour les Plans Maroc Vert, Maroc numérique.. ».
Pourtant, notre source estime que la création de l’emploi ne se décrète pas dans le cadre des programmes étatiques. «Nous avons besoin d’une croissance économique à même de générer de l’emploi et non des programmes étatiques qui  dopent temporairement le marché pour créer quelques postes de travail par-ci par-là », nous a-t-elle expliqué tout en précisant que cette croissance doit être inclusive. « Ce n’est pas la croissance qui est censée créer des emplois mais plutôt la manière de penser l’éducation, la formation et le genre d’emplois qui cadrent avec et pas l’inverse », a souligné Hicham Attouch. Et de conclure : « L’emploi est lié à la question de la croissance et à la vision économique et sociétale de notre société et tant que cette question n’est pas appréhendée dans le cadre d’un débat de société, tous les programmes seront voués à l’échec ».

 


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