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Jack Lang
Libération : On ne peut pas échapper à l'actualité du Moyen-Orient malheureusement. Je sais que vous avez fait beaucoup pour la question palestinienne, pour qu’Arafat puisse rencontrer François Mitterrand et pour la paix dans la région. Aujourd'hui, face à la terreur des bombes, nous assistons à l'impuissance et à la division des Nations unies au sujet d‘une solution pacifique. Que pourrait faire la France pour instaurerla paix entre Palestiniens et Israéliens ?
Jack Lang : Je l'aimerais, je le souhaiterais, la France …. ce que je peux regretter, c'est que l'Union européenne ne fait rien. Pourtant, elle apporte une contribution matérielle sur place, notamment en Palestine. Mais elle n’est pas capable de prendre une initiative puissante et forte. C’est un vrai sujet, il y a des différences d'appréciation assez grandes entre les pays d'Europe. J'ai cru comprendre que le Président Macron était très préoccupé par la situation. Aujourd'hui, on vit des moments terribles d'affrontements et de souffrance. Puisque vous êtes journaliste dans un journal marocain, je dois dire qu’en tant qu’ami du Maroc, je suis heureux que le Roi du Maroc apporte un soutien humanitaire aux populations de Gaza. Le Maroc offre un bel exemple de solidarité internationale. On aimerait que d'autres pays suivent cet exemple.
Votre livre, “Une révolution culturelle, dits et écrits“ évoque la relation spécifique que vous avez créée avec le Président François Mitterrand, qui a abouti à une révolution de la vie culturelle en France avec une politique favorable aux artistes. C’était une période faste parce que nous l’avons voulu, profondément voulu avec le Président Mitterrand. La période a été faste non pas parce que le ciel nous aurait apporté, je ne sais quel soutien (rires). C'est une volonté collective du peuple français, des artistes, des créateurs, du Président de la République, de son billet de la culture, de conférer à la culture une place centrale. Il voulait y consacrer des moyens importants et imaginer un projet puissant et emblématique. C’est ce que montre ce livre à travers les échanges de lettres entre François Mitterrand et moi-même. Ce fut un combat de tous les jours.
Aujourd'hui, faudra t-il un new deal culturel comme vous l'avez réclamé au Président Emmanuel Macron pour donner un nouveau souffle à la culture ?
Là encore ce livre, composé d’archives inédites, publie la lettre que j'ai adressée au président Macron voici un an. Je lui avais suggéré d'imaginer un new deal culturel poursortir de la crise actuelle. Une crise est à la fois une catastrophe et éventuellement un tremplin pour pouvoir agir, imaginer et inventer. Mon sentiment profond est que les pouvoirs publics français, ça vaut aussi pour d'autres pays, devraient « saisir par les cheveux » cette situation pour concevoir une refondation complète de la politique de la culture et de l'éducation, des universités et de la recherche scientifique.
Avez-vous des regrets sur la politique culturelle que vous avez menée pendant les deux mandats de François Mitterrand ?Pensez-vous , par exemple, que vous êtes parvenu à la démocratisation de la culture, à y faciliter l'accès des classes populaires ? Etes-vous arrivé au bout de votre projet ?
Le mouvement que nous avons engagé a atteint toutes les villes de France, tous les départements de France et toutes les régions de France. La première des inégalités en France, et peut-être dans d’autres pays, est géographique. Quand nous sommes arrivés en 1981 aux postes de responsabilité, la France était, en dehors de Paris, un désert culturel, nous avons donc fait jaillir des centres de vie partout à travers le pays. Cela a ensuite entraîné la venue de gens de tous les milieux.Nous avons eu de mauvaises informations de la presse parisienne sur ces sujets. Il faut interroger la presse de province, des régions. Nous avons, par exemple, créé, dans tous les quartiers populaires, des bibliothèques, des centres d'art et des maisons de musique. Il y a eu aussi des événements, comme la fête de la musique ou autres qui ont rassemblé le peuple tout entier. Naturellement, il y a encore beaucoup à faire. Je crois en plus que ça passe par une lutte, ça passe moins par le ministère de la Culture que par la politique économique et sociale. Doit-on demander à la culture de résoudre la situation de plusieurs millions de pauvres ? Les pauvres malheureusement sont parfois encore plus pauvres dans la crise actuelle. Ils aimeraient profiter des bienfaits de la culture, mais malheureusement, les pouvoirs publics ne s'en préoccupent pas.
Il y a la question de l'éducation aussi Tout à fait et c'est la raison pour laquelle lorsque j'ai été ministre de l’Education nationale, j'avais introduit l'art et la culture dans l'enseignement, dans les programmes d'écoles, dans la formation des maîtres. L'art et la culture étaient devenus quasiment obligatoires pour tous à travers le pays. La première démocratisation est là : donner à chaque enfant du pays la possibilité d'accéder à l'art et à la culture à l’école. Si on ne change pas profondément notre système éducatif, cette démocratisation ne se fera pas.
Le Maroc est un pays dont vous suivez la politique culturelle. Qu’en diriez-vous aujourd’hui ?
Il y a des chosesremarquables quisont engagées depuisl'accession de Sa Majesté le Roi Mohammed VI au trône, comme la restauration du patrimoine. Aujourd'hui, je constate qu’un peu partout à travers le pays, des monuments sont restaurés ou réhabilités. Toute une politique des musées a été engagée par monsieur Mehdi Kotbi : la construction du Musée Mohammed VI à Rabat mais aussi un peu partout dans le pays l’ouverture d’autres musées: le musée des Confluences à Marrakech, Sa Majesté a annoncé la création d'un musée du judaïsme à Fès et il y a beaucoup d'autres projets en préparation.Je crois vraiment que le Maroc est sur une bonne voie et il y a encore certainement des choses à faire. Le ministre de la Culture actuel est très actif et je n'oublie pas que Sa Majesté est un homme extrêmement cultivé, passionné d'art, d'architecture, d'histoire. Le Maroc est aujourd'hui un pays qui possède des trésors extraordinaires dans ses villes et ses villages. Sa culture populaire est très riche.
Ma dernière question portera sur le programme de l’Institut du monde arabe du 15 mai au 26 septembre. Il présente une exposition sur les chanteuses de "l'âge d'or" de la chanson arabe, comme Oum Kalthoum. Pourquoi ce choix ?
Les divas du monde arabe, comme Oum Kalthoum , Fayrouz, Warda, Dalida, entre autres, sont nombreuses. Elles nous offrent un voyage musical et cinématographique à travers cette période extraordinaire, au cours de laquelle non seulement ces femmes ont révélé la puissance et la beauté de leurs voix mais elles ont aussi milité pour l’émancipation des femmes.
Quel est l’effet de la crise sanitaire sur la culture ?
C’est très dommageable parce que beaucoup d'artistes au Maroc ou ailleurs, en France, se trouvent dans de graves situations de détresse. Certes, toutes les populations sont touchées, mais les artistes et les créateurs en sont les grandes victimes. La fin de la pandémie créera peut-être un sentiment de libération, d'émancipation et donnera la chance aux créateurs de rebondir et je pense que dans cette période nouvelle, les citoyens auront envie de retrouver la beauté sous toutes ses formes.
Paris. Propos recueillis par Youssef Lahlali
Jack Lang : Je l'aimerais, je le souhaiterais, la France …. ce que je peux regretter, c'est que l'Union européenne ne fait rien. Pourtant, elle apporte une contribution matérielle sur place, notamment en Palestine. Mais elle n’est pas capable de prendre une initiative puissante et forte. C’est un vrai sujet, il y a des différences d'appréciation assez grandes entre les pays d'Europe. J'ai cru comprendre que le Président Macron était très préoccupé par la situation. Aujourd'hui, on vit des moments terribles d'affrontements et de souffrance. Puisque vous êtes journaliste dans un journal marocain, je dois dire qu’en tant qu’ami du Maroc, je suis heureux que le Roi du Maroc apporte un soutien humanitaire aux populations de Gaza. Le Maroc offre un bel exemple de solidarité internationale. On aimerait que d'autres pays suivent cet exemple.
Votre livre, “Une révolution culturelle, dits et écrits“ évoque la relation spécifique que vous avez créée avec le Président François Mitterrand, qui a abouti à une révolution de la vie culturelle en France avec une politique favorable aux artistes. C’était une période faste parce que nous l’avons voulu, profondément voulu avec le Président Mitterrand. La période a été faste non pas parce que le ciel nous aurait apporté, je ne sais quel soutien (rires). C'est une volonté collective du peuple français, des artistes, des créateurs, du Président de la République, de son billet de la culture, de conférer à la culture une place centrale. Il voulait y consacrer des moyens importants et imaginer un projet puissant et emblématique. C’est ce que montre ce livre à travers les échanges de lettres entre François Mitterrand et moi-même. Ce fut un combat de tous les jours.
Aujourd'hui, faudra t-il un new deal culturel comme vous l'avez réclamé au Président Emmanuel Macron pour donner un nouveau souffle à la culture ?
Là encore ce livre, composé d’archives inédites, publie la lettre que j'ai adressée au président Macron voici un an. Je lui avais suggéré d'imaginer un new deal culturel poursortir de la crise actuelle. Une crise est à la fois une catastrophe et éventuellement un tremplin pour pouvoir agir, imaginer et inventer. Mon sentiment profond est que les pouvoirs publics français, ça vaut aussi pour d'autres pays, devraient « saisir par les cheveux » cette situation pour concevoir une refondation complète de la politique de la culture et de l'éducation, des universités et de la recherche scientifique.
Avez-vous des regrets sur la politique culturelle que vous avez menée pendant les deux mandats de François Mitterrand ?Pensez-vous , par exemple, que vous êtes parvenu à la démocratisation de la culture, à y faciliter l'accès des classes populaires ? Etes-vous arrivé au bout de votre projet ?
Le mouvement que nous avons engagé a atteint toutes les villes de France, tous les départements de France et toutes les régions de France. La première des inégalités en France, et peut-être dans d’autres pays, est géographique. Quand nous sommes arrivés en 1981 aux postes de responsabilité, la France était, en dehors de Paris, un désert culturel, nous avons donc fait jaillir des centres de vie partout à travers le pays. Cela a ensuite entraîné la venue de gens de tous les milieux.Nous avons eu de mauvaises informations de la presse parisienne sur ces sujets. Il faut interroger la presse de province, des régions. Nous avons, par exemple, créé, dans tous les quartiers populaires, des bibliothèques, des centres d'art et des maisons de musique. Il y a eu aussi des événements, comme la fête de la musique ou autres qui ont rassemblé le peuple tout entier. Naturellement, il y a encore beaucoup à faire. Je crois en plus que ça passe par une lutte, ça passe moins par le ministère de la Culture que par la politique économique et sociale. Doit-on demander à la culture de résoudre la situation de plusieurs millions de pauvres ? Les pauvres malheureusement sont parfois encore plus pauvres dans la crise actuelle. Ils aimeraient profiter des bienfaits de la culture, mais malheureusement, les pouvoirs publics ne s'en préoccupent pas.
Il y a la question de l'éducation aussi Tout à fait et c'est la raison pour laquelle lorsque j'ai été ministre de l’Education nationale, j'avais introduit l'art et la culture dans l'enseignement, dans les programmes d'écoles, dans la formation des maîtres. L'art et la culture étaient devenus quasiment obligatoires pour tous à travers le pays. La première démocratisation est là : donner à chaque enfant du pays la possibilité d'accéder à l'art et à la culture à l’école. Si on ne change pas profondément notre système éducatif, cette démocratisation ne se fera pas.
Le Maroc est un pays dont vous suivez la politique culturelle. Qu’en diriez-vous aujourd’hui ?
Il y a des chosesremarquables quisont engagées depuisl'accession de Sa Majesté le Roi Mohammed VI au trône, comme la restauration du patrimoine. Aujourd'hui, je constate qu’un peu partout à travers le pays, des monuments sont restaurés ou réhabilités. Toute une politique des musées a été engagée par monsieur Mehdi Kotbi : la construction du Musée Mohammed VI à Rabat mais aussi un peu partout dans le pays l’ouverture d’autres musées: le musée des Confluences à Marrakech, Sa Majesté a annoncé la création d'un musée du judaïsme à Fès et il y a beaucoup d'autres projets en préparation.Je crois vraiment que le Maroc est sur une bonne voie et il y a encore certainement des choses à faire. Le ministre de la Culture actuel est très actif et je n'oublie pas que Sa Majesté est un homme extrêmement cultivé, passionné d'art, d'architecture, d'histoire. Le Maroc est aujourd'hui un pays qui possède des trésors extraordinaires dans ses villes et ses villages. Sa culture populaire est très riche.
Ma dernière question portera sur le programme de l’Institut du monde arabe du 15 mai au 26 septembre. Il présente une exposition sur les chanteuses de "l'âge d'or" de la chanson arabe, comme Oum Kalthoum. Pourquoi ce choix ?
Les divas du monde arabe, comme Oum Kalthoum , Fayrouz, Warda, Dalida, entre autres, sont nombreuses. Elles nous offrent un voyage musical et cinématographique à travers cette période extraordinaire, au cours de laquelle non seulement ces femmes ont révélé la puissance et la beauté de leurs voix mais elles ont aussi milité pour l’émancipation des femmes.
Quel est l’effet de la crise sanitaire sur la culture ?
C’est très dommageable parce que beaucoup d'artistes au Maroc ou ailleurs, en France, se trouvent dans de graves situations de détresse. Certes, toutes les populations sont touchées, mais les artistes et les créateurs en sont les grandes victimes. La fin de la pandémie créera peut-être un sentiment de libération, d'émancipation et donnera la chance aux créateurs de rebondir et je pense que dans cette période nouvelle, les citoyens auront envie de retrouver la beauté sous toutes ses formes.
Paris. Propos recueillis par Youssef Lahlali