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Il était assis près de la tête de la défunte, qui était ensevelie au milieu de La chambre, les pieds tournés du côté de la Mecque, et couverte de la pièce de brocart dont Votre Majesté a tantôt fait présent à Abou- Hassan. Après lui avoir témoigné la part que je prenais à sa douleur, je me suis approché, et en levant le drap mortuaire du côté de la tête, j’ai reconnu Nouzhat-Oulaoudat, qui avait déjà le visage enflé et tout changé. J’ai exhorté du mieux que j’ai pu Abou-Hassan à se consoler, et en me retirant je lui ai marqué que je voulais me trouver à l’enterrement de sa femme et que je le priais d’attendre à faire enlever le corps que je fusse venu. Voilà tout ce que je puis dire à Votre Majesté sur l’ordre qu’elle m’a donné. »
Quand Mesrour eut achevé de faire son rapport : « Je ne t’en demandais pas davantage, lui dit le calife en riant de tout son coeur, et je suis très content de ton exactitude. » Et en s’adressant à la princesse Zobéide : « Eh bien, madame, lui dit le calife, avez-vous encore quelque chose à dire contre une vérité si constante ? Croyez-vous toujours que Nouzhat-Oulaoudat soit vivante et que Abou-Hassan soit mort, et n’avouez-vous pas que vous avez perdu la gageure ? » Zobéide ne demeura nullement d’accord que Mesrour eût rapporté la vérité. « Comment, seigneur, reprit-elle, vous imaginez- vous donc que je m’en rapporte à cet esclave ? C’est un impertinent qui ne sait ce qu’il dit. Je ne suis ni aveugle ni insensée, j’ai vu de mes propres yeux Nouzhat-Oulaoudat dans sa plus grande affliction, je lui ai parlé moi-même et j’ai bien entendu ce qu’elle m’a dit de la mort de son mari.
« – Madame, repartit Mesrour, je vous jure par votre vie et par la vie du Commandeur des croyants, choses au monde qui me sont les plus chères, que Nouzhat-Oulaoudat est morte et que Abou-Hassan est vivant. – Tu mens, esclave vil et méprisable, lui répliqua Zobéide tout en colère, et je veux te confondre tout à l’heure. » Aussitôt elle appela ses femmes en frappant des mains. Elles entrèrent à l’instant en grand nombre. « Venez là, leur dit la princesse, dites-moi la vérité : Qui est la personne qui est venue me parler peu de temps avant que le Commandeur des croyants arrivât ici ? » Les femmes répondirent toutes que c’était la pauvre affligée Nouzhat-Oulaoudat. « Et vous, ajouta-t-elle en s’adressant à sa trésorière, que vous ai-je commandé de lui donner en se retirant ?
– Madame, répondit la trésorière, j’ai donné à Nouzhat-Oulaoudat, par l’ordre de Votre Majesté, une bourse de cent pièces de monnaie d’or et une pièce de brocart qu’elle a emportées avec elle.
– Eh bien, malheureux, esclave indigne, dit alors Zobéide à Mesrour, dans une grande indignation, que dis-tu à tout ce que tu viens d’entendre ? Qui penses-tu présentement que je doive croire, ou de toi ou de ma trésorière, et de mes autres femmes et de moi-même ? » Mesrour ne manquait pas de raisons à opposer au discours de la princesse ; mais comme il craignait de l’irriter encore davantage, il prit le parti de la retenue et demeura dans le silence, bien convaincu pourtant, par toutes les preuves qu’il en avait, que Nouzhat-Oulaoudat était morte, et non pas Abou-Hassan.
Pendant cette contestation entre Zobéide et Mesrour, le calife, qui avait vu les témoignages apportés de part et d’autre, dont chacun se faisait fort, et toujours persuadé du contraire de ce que disait la princesse, tant par ce qu’il avait vu lui-même en parlant à Abou-Hassan que par ce que Mesrour venait de lui rapporter, riait de tout son coeur de voir que Zobéide était si fort en colère contre Mesrour. « Madame, pour le dire encore une fois, dit-il à Zobéide, je ne sais pas qui est celui qui a dit que les femmes avaient quelquefois des absences d’esprit ; mais vous voulez bien que je vous dise que vous faites voir qu’il ne pouvait rien dire de plus véritable. Mesrour vient tout franchement de chez Abou-Hassan, il vous dit qu’il a vu de ses propres yeux Nouzhat-Oulaoudat morte au milieu de la chambre, et Abou- Hassan vivant, assis auprès de la défunte; et nonobstant son témoignage, qu’on ne peut pas raisonnablement récuser, vous ne voulez pas le croire : c’est ce que je ne puis comprendre. »
(A suivre)