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Histoire du dormeur éveillé


Libé
Samedi 20 Juillet 2013

Histoire du dormeur éveillé
Cet ordre, donné avec tant de fermeté, fit au calife un plaisir d’autant plus sensible qu’il connut par là que Abou-Hassan ne perdait pas le temps de profiter de l’occasion de châtier l’iman et les quatre vieillards de son quartier, puisque la première chose à quoi il avait pensé, en se voyant calife, avait été de les faire punir. Le grand vizir, cependant, continua de faire son rapport, et il était près de finir lorsque le juge de police, de retour, se présenta pour rendre compte de sa commission. Il s’approcha du trône, et après la cérémonie ordinaire de se prosterner :
« Commandeur des croyants, dit-il à Abou-Hassan, j’ai trouvé l’iman et les quatre vieillards dans la mosquée que Votre Majesté m’a indiquée, et pour preuve que je me suis acquitté fidèlement de l’ordre que j’avais reçu de Votre Majesté, en voici le procès-verbal, signé de plusieurs témoins, des principaux du quartier. » En même temps il tira un papier de son sein, et le présenta au calife prétendu. Abou-Hassan prit le procès-verbal, le lut tout entier, même jusqu’aux noms des témoins, tous gens qui lui étaient connus, et quand il eut achevé : « Cela est bien, dit-il au juge de police en souriant, je suis content et vous m’avez fait plaisir : reprenez votre place.
Des cagots, dit-il en lui-même avec un air de satisfaction, qui s’avisaient de gloser sur mes actions, et qui trouvaient mauvais que je reçusse et que je régalasse d’honnêtes gens chez moi, méritaient bien cette avanie et ce châtiment. » Le calife, qui l’observait, pénétra dans sa pensée, et sentit en lui-même une joie inconcevable d’une si belle expédition. Abou-Hassan s’adressa ensuite au grand vizir.
« Faites-vous donner par le grand trésorier, lui dit-il, une bourse de mille pièces de monnaie d’or, et allez au quartier où j’ai envoyé le juge de police, la porter à la mère d’un certain Abou-Hassan, surnommé le Débauché. C’est un homme connu dans tout le quartier sous ce nom : il n’y a personne qui ne vous enseigne sa maison. Partez et revenez promptement. » Le grand vizir Giafar mit la main sur la tête pour marquer qu’il allait obéir, et après s’être prosterné devant le trône, il sortit et s’en alla chez le grand trésorier, qui lui délivra la bourse. Il la fit prendre par un des esclaves qui le suivaient, et s’en alla la porter à la mère d’Abou-Hassan.
Il la trouva, et il lui dit que le calife lui envoyait ce présent, sans s’expliquer davantage. Elle le reçut avec d’autant plus de surprise qu’elle ne pouvait imaginer ce qui pouvait avoir obligé le calife de lui faire une si grande libéralité, et qu’elle ignorait ce qui se passait au palais.
Pendant l’absence du grand vizir, le juge de police fit le rapport de plusieurs affaires qui regardaient sa fonction, et ce rapport dura jusqu’au retour du vizir. Dès qu’il fut rentré dans la chambre du conseil, et qu’il eut assuré Abou-Hassan qu’il s’était acquitté de l’ordre qu’il lui avait donné, le chef des eunuques, c’est-à-dire Mesrour, qui était rentré dans l’intérieur du palais après avoir accompagné Abou-Hassan jusqu’au trône, revint et marqua par un signe, aux vizirs, aux émirs et à tous les officiers, que le conseil était fini et que chacun pouvait se retirer; ce qu’ils firent après avoir pris congé, par une profonde révérence au pied du trône, dans le même ordre que quand ils étaient entrés. Il ne resta auprès d’Abou-Hassan que les officiers de la garde du calife et le grand vizir. Abou-Hassan ne demeura pas plus longtemps sur le trône du calife; il en descendit de la même manière qu’il y était monté, c’est-à-dire aidé par Mesrour et par un autre officier des eunuques, qui le prirent par-dessous les bras et qui l’accompagnèrent jusqu’à l’appartement d’où il était sorti. Il y entra précédé du grand vizir.
Mais à peine y eut-il fait quelques pas qu’il témoigna avoir quelque besoin pressant. Aussitôt on lui ouvrit un cabinet fort propre, qui était pavé de marbre, au lieu que l’appartement où il se trouvait était couvert de riches tapis de pied ainsi que les autres appartements du palais. On lui présenta une chaussure de soie brochée d’or, qu’on avait coutume de mettre avant que d’y entrer. Il la prit, et comme il n’en savait pas l’usage, il la mit dans une de ses manches, qui étaient fort larges.
Comme il arrive fort souvent que l’on rit plutôt d’une bagatelle que de quelque chose de conséquence, peut s’en fallut que le grand vizir, Mesrour et tous les officiers du palais, qui étaient près de lui, ne fissent un éclat de rire, par l’envie qui leur en prit, et ne gâtassent toute la fête ; mais ils se retinrent, et le grand vizir fut enfin obligé de lui expliquer qu’il devait la chausser pour entrer dans ce cabinet de commodité. Pendant que Abou-Hassan était dans le cabinet, le grand vizir alla trouver le calife, qui s’était déjà placé dans un autre endroit pour continuer d’observer Abou-Hassan sans être vu, et lui raconta ce qui venait d’arriver, et le calife s’en fit un nouveau plaisir. Abou-Hassan sortit du cabinet, et Mesrour, en marchant devant lui pour lui montrer le chemin, le conduisit dans l’appartement intérieur, où le couvert était mis. La porte qui y donnait communication fut ouverte, et plusieurs eunuques coururent avertir les musiciennes que le faux calife approchait.
(A suivre)


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