Guerres commerciales, conflits régionaux, inflations, montée des populismes… Contexte géopolitique et économique trouble


Hassan Bentaleb
Mardi 15 Avril 2025

Guerres commerciales, conflits régionaux, inflations, montée des populismes… Contexte géopolitique et économique trouble
Le contexte géopolitique et économique mondial actuel, marqué par des guerres commerciales, des conflits régionaux (comme celui à Gaza), une inflation persistante et la montée des populismes en Europe et aux Etats-Unis, redéfinit les relations entre les pays du Nord et ceux du Sud. Ces tensions exacerbent les inégalités structurelles, perturbent les chaînes d’approvisionnement et poussent les pays du Sud à chercher de nouveaux partenariats pour réduire leur dépendance.

Le Maroc, en tant qu’économie émergente et pivot géostratégique entre l’Afrique, l’Europe et le monde arabe, subit directement les contrecoups de ces bouleversements. D’un côté, sa forte dépendance aux échanges avec l’UE (60% de son commerce) le rend vulnérable aux politiques protectionnistes et aux crises économiques européennes. De l’autre, les tensions au Moyen-Orient, notamment la guerre à Gaza, compliquent sa diplomatie équilibrée. Sur le plan intérieur, la flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie menace la stabilité sociale, tandis que la montée de l’extrême droite en Europe pourrait restreindre les transferts financiers de la diaspora marocaine, pourtant vitaux pour l’économie. Analyse
 
1. Fragmentation économique mondiale et recomposition des chaînes de valeur
 
Pour plusieurs analystes, il faut s’attendre à une fragmentation économique mondiale et à la recomposition des chaînes de valeur qui redéfinissent les équilibres  géoéconomiques, obligeant les nations à repenser leurs modèles de production et leurs alliances commerciales. Le conflit commercial sino-américain, caractérisé par une montée des barrières tarifaires et des restrictions technologiques, fragilise les chaînes d’approvisionnement globales, avec des effets d’entraînement significatifs sur les économies du Sud. Ces dernières, souvent intégrées dans les marchés occidentaux ou dépendantes des importations chinoises, voient leurs marges de manœuvre se réduire.
Tandis que des pays comme le Vietnam, l’Inde ou le Mexique tirent parti d’une redirection des investissements industriels hors de Chine, d’autres — notamment en Afrique subsaharienne — connaissent un recul des flux d’IDE, aggravant leur marginalisation économique.

L’émergence d’une logique de découplage économique entre un pôle occidental et un bloc sino-russe menace d’exclure les pays du Sud des circuits d’échange dominants, les plaçant devant des choix géopolitiques contraints, voire risqués.
 
2. Tensions géopolitiques : la guerre à Gaza et ses effets systémiques
 
Le conflit israélo-palestinien exacerbe, selon les observateurs, l’instabilité au Moyen-Orient, avec des répercussions globales. La perturbation du transport maritime en mer Rouge renchérit les coûts logistiques mondiaux, affectant directement les économies du Sud, particulièrement vulnérables aux hausses des prix de l’énergie et des denrées alimentaires.
Sur le plan diplomatique, les réactions différenciées au conflit (soutien occidental à Israël vs. condamnations dans les pays du Sud) approfondissent les lignes de fracture Nord-Sud, notamment dans les enceintes onusiennes.
Par ailleurs, la crise humanitaire qui en découle exerce une pression accrue sur des pays d’accueil déjà fragiles (Jordanie, Egypte), affectant leur stabilité socio-économique.
 
3. Inflation mondiale, dette souveraine et vulnérabilités structurelles
 
La conjoncture actuelle, marquée par une flambée des prix des produits alimentaires et énergétiques (accentuée par la guerre en Ukraine), frappe durement les pays en développement, fortement dépendants des importations.

Le resserrement monétaire dans les pays du Nord (hausse des taux directeurs par la Fed et la BCE) alourdit le fardeau de la dette pour de nombreux pays du Sud, provoquant des crises de paiement (Ghana, Pakistan, Ethiopie).

Le rôle des institutions financières internationales reste central, mais controversé, en raison des conditionnalités imposées. De plus, la forte appréciation du dollar amplifie les déséquilibres commerciaux et budgétaires dans des économies dollar-dépendantes.
 
4. Repli identitaire et durcissement des politiques migratoires
 
La montée de l’extrême droite en Europe et aux Etats-Unis influe sur les politiques migratoires, avec des conséquences indirectes mais notables pour les pays du Sud.
La restriction des flux migratoires, combinée à une réduction potentielle des transferts de fonds des diasporas, compromet les équilibres macroéconomiques de plusieurs pays africains et latino-américains.

Sur le plan commercial, le protectionnisme prôné par certains partis populistes remet en cause les régimes préférentiels établis (ex. accords ACP-UE), ce qui pourrait nuire aux exportations des pays du Sud et réduire leurs marges d’insertion dans le commerce international.
 
5. Incertitudes politiques américaines : le facteur Trump
 
Le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis représente un tournant stratégique majeur. L’unilatéralisme qui a marqué son précédent mandat se traduit aujourd’hui par un retrait des Etats-Unis des cadres multilatéraux, une réduction de l’aide au développement, et un durcissement des positions commerciales.

Une telle orientation risquerait d’affaiblir les efforts globaux de financement climatique, de polariser davantage le système international et de pousser les pays du Sud à se rapprocher de la Chine ou de la Russie. Les alliances géopolitiques qui pourraient en résulter (Trump-Poutine, Trump-Netanyahu) introduisent des incertitudes supplémentaires dans les relations Nord-Sud, notamment à travers la reconfiguration des rapports avec les pays arabes et africains.
 
Reconfiguration des rapports Nord-Sud sous tension
 
Les évolutions récentes signalent une transformation profonde et instable des relations Nord-Sud, marquée par trois tendances majeures : Multipolarité compétitive : une lutte d’influence entre grandes puissances pour l’accès aux ressources, aux marchés et aux alliances stratégiques du Sud. Erosion du multilatéralisme : un affaiblissement des instances de gouvernance globale (OMC, ONU, COP), ouvrant la voie à des arrangements alternatifs (BRICS+, Nouvelles Routes de la soie). Et asymétrie des chocs : les crises économiques et géopolitiques touchent de manière disproportionnée les pays du Sud, aggravant les inégalités mondiales.
 
Dépendance commerciale et réorientation des flux d’investissement
 
Concernant l’impact de ce contexte sur le Maroc, le positionnement commercial du Maroc repose historiquement sur des partenariats traditionnels, en particulier avec l’Union européenne (UE), qui représente environ 60% de ses échanges extérieurs. Dans un contexte de tensions commerciales croissantes — notamment entre les Etats-Unis et la Chine — le Royaume pourrait bénéficier de délocalisations industrielles cherchant à contourner les risques géopolitiques, en particulier dans les secteurs de l’automobile et de l’électronique.

Toutefois, le processus de découplage économique entre blocs concurrents (Occident vs. Chine-Russie) renforce la nécessité pour Rabat de diversifier ses partenariats vers des économies émergentes (Inde, Turquie, Afrique subsaharienne), en limitant les effets de dépendance asymétrique.
 
Chocs inflationnistes et contraintes financières
 
Importateur net d’énergie et de denrées de base (notamment les céréales), le Maroc est exposé à la volatilité des prix mondiaux. La configuration de son régime de change — un panier composé principalement de l’euro et du dollar — amortit partiellement les fluctuations, mais la hausse des taux d’intérêt dans les pays développés (Fed, BCE) alourdit le service de la dette extérieure. L’endettement public avoisine 70% du PIB, dans un contexte de marges budgétaires réduites.

Par ailleurs, les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE), représentant plus de 7% du PIB, constituent une source cruciale de devises. Ces flux sont toutefois menacés par l’émergence de politiques migratoires hostiles dans les pays d’accueil (Europe, Etats-Unis).
 
Durcissement des politiques migratoires en Europe
 
Sur un autre registre, l’évolution politique en Europe, marquée par la montée de l’extrême droite, renforce la pression sur le Maroc en tant que pays de transit et d’origine migratoire. Rabat est incité à jouer un rôle accru dans le contrôle des flux migratoires, souvent en échange d’aides financières et de concessions diplomatiques limitées. Cette instrumentalisation du levier migratoire illustre la dépendance stratégique croissante du Maroc à l'égard des dynamiques politiques européennes.
La situation des diasporas marocaines en Europe, soumises à des politiques de plus en plus restrictives, pose également la question de la durabilité des transferts de fonds et de leur impact social sur le tissu économique marocain.
 
Sécurité régionale et stabilité intérieure : entre coopération et résilience
 
L’instabilité au Sahel, la persistance des tensions avec l’Algérie, et les risques sécuritaires en Méditerranée élargie imposent au Maroc de renforcer ses partenariats sécuritaires. En ce sens, le Royaume s’affirme comme un allié stratégique de l’Occident, en particulier des Etats-Unis et de l’OTAN, en matière de lutte contre le terrorisme et de stabilité régionale.
 
Equilibre complexe entre résilience et dépendance
 
En conclusion, les analystes soutiennent que le Maroc évolue dans un environnement international marqué par des tensions systémiques — économiques, diplomatiques, sécuritaires — qui exigent une adaptation continue. Sa stratégie repose sur une double logique, à savoir un pragmatisme diplomatique qui consiste à maintenir des relations solides avec les partenaires traditionnels (UE, Etats-Unis), tout en diversifiant ses alliances vers le Sud global, d’une part. Et d’autre part, un renforcement de l’autonomie stratégique, à travers la sécurisation des approvisionnements alimentaires et énergétiques, l’industrialisation, et la consolidation du modèle de développement.

Toutefois, cette trajectoire reste exposée à des risques significatifs : déséquilibres sociaux internes, retournement des alliances, instabilité régionale. Le pari marocain est donc celui d’une insertion flexible dans un ordre mondial fragmenté, en misant sur sa stabilité et sa capacité d’adaptation pour se positionner comme un pont entre l’Afrique, l’Europe et le monde arabe.

Hassan Bentaleb


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