Gran Torino de Clint Eastwood : Le cinéma de l'ère Obama


M. B.
Vendredi 10 Avril 2009

Gran Torino de Clint Eastwood : Le cinéma de l'ère Obama
Gran Torino, le nouveau film de Clint Eastwood, est un chef-d'œuvre. Il vient juste  après un autre grand film de  ce géant de Hollywood, L'Echange, qui avait séduit à Cannes. Si ce film frappe par son classicisme, c'est une véritable leçon de cinéma comme construction dramatique, reconstitution historique et système narratif spécifique, Gran Torino, pour sa part, se présente comme une réflexion, toujours par les outils du cinéma, sur une thématique forte, celle du rapport à l'autre. L'altérité au sens vertical dans le sens rapport parents- enfants et là nous retrouvons une récurrence eastwoodienne, celle de la transmission ; et  une altérité horizontale dans le sens du rapport avec l'autre comme étranger et c'est là que le film se laisse lire comme le premier indice d'un cinéma de l'Amérique d'Obama; l'Amérique qui arrive enfin à se réconcilier avec cet autre qui l'habite, l'Afro-Américain en l'espèce…
Clint Eastwood est Walt Kowalski; on le découvre à l'église qui accueille ses enfants et petits enfants venus assister à l'enterrement de sa femme. Il n'a que mépris pour eux et est excédé par leur nombril découvert, leurs tee-shirts extravagants et leur téléphone portable (magnifique scène d'exposition qui mérite d'être étudiée dans les ateliers de scénario).
Après des années de travail à la chaîne dans les usines Ford, il vit replié sur lui-même, occupant ses journées à bricoler, traînasser et siroter des bières dans une banlieue de Detroit, devenue ghetto d'immigrants. Ancien de la guerre de Corée, homme inflexible, amer et pétri de préjugés surannés, il inquiète ses enfants qui se demandent si, à 78 ans, il ne ferait pas bien d'entrer en maison de retraite.
Rejetant cette sollicitude comme celle du prêtre venu lui demander de se confesser pour exaucer le dernier vœu de sa femme. Mais Walt n'a rien à avouer, ni personne à qui parler. Hormis sa chienne Daisy, il ne fait confiance qu'à son fusil, toujours propre, toujours prêt à l'usage.
Il est toutefois pris au dépourvu le soir où un ado Hmong du quartier tente de lui voler sa précieuse Ford Gran Torino... Il le fait fuir mais, dans l'émotion, hoquette et crache du sang de ses poumons. Cet incident ne fait qu'empirer le mépris qu'il a pour ses voisins et leurs jardins mal entretenus.
Et lorsqu'un soir, il intervient pour chasser une bande de voyous qui s'en étaient pris à Thao, le jeune garçon timide qui avait tenté de lui voler sa voiture mais refusait de faire partie de leur bande, c'est juste parce qu'ils ont fait l'erreur de marcher sur sa pelouse.
Il devient malgré lui le héros du quartier. Il suppliera la communauté Hmong de garder ses cadeaux avant d'être invité par Sue pour son anniversaire et de constater l'excellence de leur cuisine.
La mère de Thao insiste pour que ce dernier se rachète en travaillant pour Walt. Surmontant ses réticences, ce dernier confie au garçon des "travaux d'intérêt général" au profit du voisinage....
Le film s'ouvre et se clôt par la mort. Quelque chose en Amérique disparait y compris ce clin d'œil que fait le cinéaste à la fin de sa propre carrière quand il se filme dans un cercueil. Disparition et métamorphose de la figure de l'Amérique héroïque incarnée un petit peu aussi dans le film où Clint Eastwood incarne le justicier violent qui défend un ordre au détriment de l'éthique et des  valeurs. Gran Torino est le scénario de la métamorphose de cette Amérique, fatiguée et épuisée et qui va finir par accepter de se débarrasser des clichés hérités d'une histoire pour embrasser les mutations du monde.
Dans Gran Torino nous assistons à la mutation du personnage qui se débarrasse de la famille biologique pour se construire une nouvelle famille, culturelle cette fois. Ses voisins venus d'un ailleurs lointain, dérangent mais finissent par être acceptés et intégrés par l'art de la transmission que le film illustre magistralement avec le passage de témoin que représente la voiture qui donne son titre au film: dans son testament, Walt va léguer son bien le plus précieux, le symbole de toute une civilisation au jeune Thao. Sublime. 


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