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Je ne suis pas niais au point d'ignorer l'attachement des peuples, de tous les peuples, à leurs mythes fondateurs. Je me méfie des cyniques qui, sous couvert de rationalité, prétendent dépouiller Jérusalem de son caractère sacral. Mais il me paraît insupportable de continuer à utiliser Jérusalem comme emblème spirituel et national, comme bannière derrière laquelle et pour laquelle les peuples s'entretuent.
A cet égard, les dernières déclarations de Netanyahou sur Jérusalem sont incendiaires. "Jérusalem n'est pas une colonie… nous avons le droit de nous installer dans une ville que nous avons construite il y a 3000 ans", et qui restera la "capitale éternelle du peuple juif", déclare le premier ministre israélien, sans broncher, sans rougir, dans un geste de défi à la Communauté internationale. Relevons au passage l'erreur historique. Ce ne sont pas les juifs qui ont construit Jérusalem. Les archéologues situent la construction d'une ville fortifiée sur l'emplacement actuel de Jérusalem. Elle s'appelait Uru-salem, ou ville de la paix. Une population essentiellement cananéenne y habitait, assimilant, au gré des invasions, d'autres peuples semi-nomades dont les Amorites de l'Est, les Hittites du Nord et les Philistins de la côte méditerranéenne. Yves Lacoste, probablement le géopoliticien français le plus connu, ne dit pas autre chose : En se référant à la plaine côtière méditerranéenne (où s'est établi l'Etat d'Israël), il écrit : "cette plaine côtière "fut dans l'Antiquité le pays non pas des Hébreux, mais de leurs adversaires, les Philistins, d'où vient le nom de Palestine" (Hérodote, no.130, 2008,p.32). Pour ce qui est de Jérusalem, la Bible nous enseigne que le Roi David a conquis la ville, ce qui signifie qu'elle préexistait à l'arrivée des juifs en Palestine, il y a 3000 ans.
Mais Netanyahou tord le cou à l'Histoire pour lui faire dire n'importe quoi.
Ceci étant, il est clair que les juifs sont attachés à Jérusalem, mais le sont-ils davantage que les chrétiens qui y vénèrent le tombeau du Christ et qui considèrent Jérusalem comme l'épicentre du mystère du Salut? Ou les musulmans pour lesquels Jérusalem est la troisième ville sainte après la Mecque et Médine ?
Le caractère original de Jérusalem, primordial, dirais-je, pour les trois religions monothéistes lui confère un cachet particulier, presque sacré. Avec pour corollaire, tous les dangers qui découlent de la tentation d'utilisation idéologique et géopolitique de cette sacralisation. C'est ce qui me fait dire que celui qui oublie Jérusalem n'a pas de mémoire, mais celui qui veut Jérusalem pour lui tout seul, n'a pas de tête.
En criant sur tous les toits que Jérusalem est la capitale éternelle du peuple juif, Israël perd la tête, car il fait de Jérusalem une pomme de discorde alors qu'elle devrait être le lieu de la concorde, précisément à cause de sa topographie, sacrée ou sacralisée.
A cet égard, je voudrais vous rappeler un épisode plein de signification que je relate dans mon livre "L'Europe et la Palestine des Croisades à nos jours".
Comme vous le savez, les Croisés ont débarqué en Palestine en 1099, sous la bannière de Godefroi de Bouillon. Ils y ont créé un "Royaume latin". Mais le Royaume latin est démantelé, en 1187, par l'armée de Saladin, après une bataille célèbre, qui a eu lieu à Hittin en Palestine.
Pour laver l'affront subi par la chrétienté occidentale, le Pape appelle à la troisième croisade à laquelle participent le Roi de France, Philippe Auguste, l'Empereur Germanique, Frédéric 1er Barberousse, et Richard Cœur de Lion d'Angleterre. Arrivé sur la côte palestinienne, vers 1188, Richard Cœur de Lion envoie un message à Saladin, dans lequel il lui dit : "S'agissant de Jérusalem, c'est notre lieu de culte, et nous n'accepterons jamais d'y renoncer, même si nous devions nous battre jusqu'au dernier".
La réponse de Saladin est tout en finesse :"La ville sainte est autant à nous qu'à vous : elle est même plus importante pour nous, car c'est vers elle que notre prophète a accompli son miraculeux voyage nocturne, et c'est là que notre communauté sera réunie le jour du jugement dernier : il est exclu pour nous que nous l'abandonnions : jamais les musulmans ne l'admettraient".
Au vu de l'actualité brûlante de Jérusalem, cet échange qui a eu lieu il y a plus de 8 siècles entre un roi chrétien et un sultan fatimide, est une source de méditation. On retrouve aujourd'hui, en 2010, les deux discours : celui d'Israël qui clame "Jérusalem est notre capitale éternelle", et celui des Palestiniens qui revendiquent un lit pour deux rêves, Jérusalem : une ville et deux capitales. C'est ce que réclame, d'ailleurs, la Communauté internationale, qui n' jamais avalisé l'annexion unilatérale de Jérusalem par Israël et qui considère la colonisation juive à Jérusalem-Est comme "contraire au droit international". C'est ce que vient de rappeler, hier encore, Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, et le secrétaire général des Nations-Unies.
Par la colonisation des quartiers palestiniens de Jérusalem, par le retrait des cartes de résidence à des milliers de ses habitants arabes, par la multiplication des colonies qui ceinturent la vieille ville et par le mur qui éventre les terroirs palestiniens environnants, le gouvernement israélien tente de tuer dans l'œuf toute perspective de paix, dans la mesure où, sans Jérusalem, il n'y aura pas d'Etat palestinien. C'est sans doute ce que recherche Netanyahou, de l'avis même de son propre père qui affirmait il y a quelques semaines: "Mon fils ne veut pas d'un Etat palestinien : il a posé de telles conditions que jamais les Arabes ne pourraient les accepter" (El Pais, 26 mars 2010). J'ajoute : surtout pas celle concernant Jérusalem.
Car Jérusalem est "la madre del cordero", comme disent les Espagnols : c'est le nœud gordien des négociations à venir. Sa centralité symbolique dans les trois traditions abrahamiques lui confère une résonance, une projection extérieure, et importance qui dépasse de loin son périmètre géographique. Il serait erroné, voire dangereux, de confisquer Abraham et de se l'approprier, ou d'invoquer une quelconque antériorité historique d'une religion pour justifier un contrôle exclusif sur la ville. Reconnaître cela, c'est déjà contribuer à édifier la paix à venir. Pour l'heure malheureusement, l'histoire de Jérusalem s'apparente à une gigantesque carrière où Israël extrait les pierres de la construction de ses propres mythes. Ce faisant, Israël perd le sens des réalités objectives et, pire encore, le sens éthique et moral.
Je viens de terminer la lecture d'un livre fascinant du pianiste Daniel Barenboïm, intitulé "La musique éveille le temps". Je suis persuadé que l'écrasante majorité des auditeurs ne le connaît pas. Et pourtant, il a créé avec le professeur palestinien, feu Edward Saïd, l'East-West Divan, un orchestre composé de musiciens, arabes, israéliens et européens. Pour ses prises de position courageuses contre la colonisation israélienne, l'Autorité palestinienne a donné la nationalité palestinienne, à ce pianiste israélien. Ecoutez ce qu'il écrit dans le livre que je viens de mentionner:
"Le sens de la moralité appartient incontestablement au capital historique du peuple juif et lui a permis de survivre aux formes les plus dévastatrices d'antisémitisme. Israël est en train de gaspiller ce capital en poursuivant l'occupation et en créant des colonies sur une terre qui ne lui appartient pas…Le comportement d'Israël depuis 1967 a permis aux Palestiniens de se sentir plus forts moralement"…
Un dernier mot : Israël peut construire à Jérusalem et dans les autres territoires occupés, et appeler cela "le retour à la terre promise". Mais tant que son rêve est notre cauchemar, il dormira sur un lit d'épines, et ses nuits seront peuplées de remords.