Fenêtre : Quand Ecrire c’est Faire…


Atmane Bissani
Jeudi 26 Mai 2011

Qu’est-ce qu’écrire ? Pourquoi écrit-on ? Pour qui écrit-on ? Nombreuses sont les questions relatives à la question de l’écriture et nombreux sont les spécialistes qui ont essayé, chacun selon ses convictions, d’y apporter leurs éléments de réponses. Littéraire, philosophique ou essayistique, l’écriture définit une aventure passionnelle et amoureuse entre le sujet qui écrit et le monde décrit. Elle excède le simple geste de tracer des signes à celui de justifier l’existence. L’écriture est donc une raison d’être, une preuve de vouloir être.  Car, après tout, pourquoi écrit-on ? Qu’est-ce qu’écrire sinon donner sens à son existence ? L’écriture retrace le cheminement d’une quête inlassable d’un graal perdu dans les labyrinthes des interrogations et du monde : quel est le sens de la vie ? Tout porte à croire que l’écriture en tant que pratique artistique et esthétique est avant tout une opération destinée à purifier le sujet de la lourdeur de la question et de l’interrogation. Elle lui rend possible cette aventure d’être qui est la sienne propre ; elle le rend capable de supporter sa condition humaine tout en essayant de la parfaire ; elle le guide spirituellement à se rencontrer comme essence tout en rencontrant cet autre qui l’habite et qui n’est autre que lui-même. L’écriture est un acte qui consiste à meubler le vide, à vaincre l’absence et à programmer le processus de la signification. Synonyme du plein, l’écriture est pour ainsi dire le contraire du néant. Elle a pour projet la restructuration de l’existence humaine en ceci qu’elle permet et, par là même, promet au sujet écrivant de vivre doublement : créer des situations et fuir sa condition. En effet, lorsqu’il écrit, l’auteur entre dans un univers magique, autre, fantasmagorique, plein de secrets et d’imprévus. Il s’agit d’un univers métaphorique qui lui permet de rendre compatible son rapport d’incompatibilité vis-à-vis de l’épreuve d’être. L’écriture est donc un soulagement qui aide le sujet à éteindre les braises du mystère d’être. L’écriture revêt ici la forme d’une pratique amoureuse qui scrute le bruissement de l’existence, qui sonde les secrets des lettres et des mots employés, qui écoute la vibration des phrases et des images poétiques choisies, qui libère le corps de son ligotage imposé. Cruelle ou tendre, profane ou sacrée, l’écriture est une symphonie qui accompagne la composition de l’Odyssée d’être. Elle est, mathématiquement parlant, la somme de la joie et de la douleur, le bien-être et le mal-être, l’espoir et le désespoir. Ecrire c’est essayer de trouver un équilibre entre l’être et le non être, entre l’âme et le corps, entre le poétique et  le technique. Ecrire c’est aussi oublier, effacer de la mémoire,  suturer les lèvres de la plaie saignante, sortir de la nostalgie et inhumer la trace de ce qui fut. Telle demeure la force de la littérature qui aide à surpasser l’expérience de l’affliction humaine et à dessiner les contours d’une expérience d’espoir. Dans La Part manquante, l’écrivain français Christian Bobin écrit ceci : « Ce n’est pas pour devenir écrivain qu’on écrit. C’est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour. » L’amour que cherche l’écrivain à rejoindre s’avère être son devenir/avenir occulté dans les horizons de l’abscons et de l’inconnu. Il est question ici de la part obscure de l’expérience d’écrire qui fait, étonnamment, de l’amour son point de départ certain et son point d’arriver incertain. L’écriture est, par conséquent, une nostalgie à venir, c'est-à-dire un exercice par lequel l’écrivain projette l’avenir de l’être et du monde sans pour autant pouvoir parvenir à sa concrétisation. L’écriture est, somme toute, une opération permettant à l’écrivain de vaincre la peur et la mort comme signes de l’amphibologique, et de faire triompher l’assurance et la vie comme signes de conviction. L’écriture comme rhapsodie a une ombre : la solitude. Concrètement, l’écriture littéraire, philosophique ou essayistique ne peut se faire que dans la solitude. C’est là sa nécessité, sa vitalité, sa chose à elle, sa matière et sa devise qui la distinguent de toutes les autres formes d’écriture. Ecrire c’est être en compagnie de soi, rien que soi, ce réservoir d’énergie imaginative, cet autre qui n’est pas autre, cet inconnu qui n’est pas étranger, cette ombre qui forge le style, la trace, la marque et l’empreinte authentique d’un écrivain, cette ombre d’amour qui se nourrit des ruines des palimpsestes de la mémoire. Ecrire est révélateur de l’être… 


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