Fenêtre... : Mohamed Arkoun: la Raison en effet


Atmane Bissani
Jeudi 23 Septembre 2010

Mohamed Arkoun n’est plus. Il s’agit là d’un fait imparable puisque le penseur algérien a bel et bien tiré sa révérence à l’âge de 82 ans à Paris. Mohamed Arkoun a disparu pour laisser la pensée arabo-musulmane en deuil permanent notamment après la disparition d’Abdelkébir Khatibi, Mohamed Abed Al-Jabri et bien d’autres personnalités de la pensée arabo-musulmane contemporaine. Revisiter la pensée de Mohamed Arkoun, retracer le cheminement de sa trace d’intellectuel indélébile dans le paysage culturel arabo-musulman, nécessite un travail de recherche on ne peut plus épais dont seuls sont capables les spécialistes en la matière. En effet, la matière qu’a laissée Mohamed Arkoun est tellement riche et actuelle qu’elle ne laisse point indifférent. La pensée de Mohamed Arkoun constitue un projet d’une audace vertigineuse. Ce projet se structure essentiellement autour des notions de la Raison et de l’Homme. Sa pensée se propose de critiquer épistémologiquement la pensée musulmane sur la base du traitement historique du texte, et loin de toute sacralisation qui puisse nuire à la l’approfondissement et la connaissance parfaite de ce texte. Pour que la raison soit mise en exercice dans le contexte musulman, et pour que l’homme soit mis au centre des préoccupations de celle-ci, trois mots d’ordre sont à respecter dans le cadre de la pensée de Mohamed Arkoun : historicité, rationalisme et épistémologie. L’historicité du texte veut que ce dernier soit lié aux conditions de sa révélation. Le rationalisme veut que son traitement soit fondé sur la raison critique qui propose d’autres possibilités sémantiques puisque la vérité absolue est loin d’être une vérité. L’épistémologie, elle, veut que le traitement du texte ne soit pas idéologique en ceci que sa finalité demeure la compréhension du texte. Dans cette optique, Mohamed Arkoun fait recours à l’anthropologie, la linguistique, la sémiotique et l’histoire pour déconstruire le texte et donc pouvoir l’assimiler. Tout se passe comme si Mohamed Arkoun débarrassait l’islam de tout ce qui pouvait bloquer son épanouissement. Allant dans la logique des penseurs modernes et postmodernes (Derrida, Deleuze et Foucault) qui croient que toute vérité est à construire, Mohamed Arkoun stipule que la lecture/relecture rationnelle du texte dessaisit l’islam des obstacles de sa renaissance telles que les superstitions et les fausses représentations de l’au-delà qui laissent l’être musulman à la merci de l’inconnu. Mohamed Arkoun, cet adepte de la pensée des mouâtazilites, défend un rationalisme musulman qui fait l’éloge de l’homme en valorisant ses potentialités rénovatrices et créatrices. Indépendamment de ce noyau dogmatique de la foi qui ne fait qu’engendrer des violences mutuelles, Mohamed Arkoun opte pour une pensée séculaire qui se déploie loin des violences et des exclusions interreligieuses. Dans le cadre de ce qu’il appelle un « triangle anthropologique », Mohamed Arkoun voit qu’à l’origine la violence est le produit du sacré qui représente une vérité absolue pour ses partisans. S’en sortir c’est permettre la pluralité des lectures des textes sacrés et militer pour un Humanisme éclairé relatif aux tempéraments des Lumières. Tout se passe comme si Mohamed Arkoun militait pour l’épanouissement d’un Sujet musulman capable de prendre l’initiative de ratiociner en dehors de toute programmation théologico-politique. « Critique de la raison islamique » fixée depuis 1984 s’avère être l’intitulé de ce projet toujours en chantier de Mohamed Arkoun dont la véhémence argumentative ne fait qu’attiser davantage le débat à propos de l’islam et des musulmans. Que reste-il de Mohamed Arkoun ? Que reste-il d’une telle sommité intellectuelle ? De Mohamed Arkoun et de sa pensée il reste une responsabilisation des intellectuels éclairés de continuer de cheminer dans le sens de la revendication du droit à l’interprétation du texte, et à la remise en question de toutes les pratiques et lectures inintelligibles, par trop être dogmatiques, qui ont donné droit de cité à la violence. Mohamed Arkoun, inhumé tout prêt de la tombe de Mohamed Abed Al-Jabri, nous incite à raisonner pour devenir. Tel reste son mot de la fin…


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