Fenêtre… : Le secret de la voix


Atmane Bissani
Jeudi 9 Décembre 2010

Interroger la voix humaine revient à dire interroger la part la plus énigmatique de l’être. La voix fonctionne en effet comme secret, énigme et mystère définissant la nature humaine comme problématique. Il ne serait pas erroné de dire que l’être est sa voix. Il ne serait pas non plus erroné de dire que la voix est la manifestation de l’être dans le monde. La voix se refuse au silence bien que le silence ait sa propre voix qui, elle, relève de l’indicible. La voix  traduit un rapport de force entre la parole et le silence. Si la parole est prononciation et articulation de vocables, si le silence est réduction de la parole à son degré zéro, la voix, elle, est production de sons, elle est libération de la parole de son silence imposé ou choisi. La voix est donc ce qui dans la parole n’est pas la parole, c’est ce qui dans le silence n’est pas le silence, mais qui demeure une trace qui se situe aux interstices de la présence et de l’absence, à la lisière du dit et du non-dit, entre l’« il y a » et l’« il n’ y a pas ». Si la voix est une trace qui définit l’homme, et plus que l’homme elle définit l’être, son signifiant demeure sa présence physique comme échos neutre et insignifiant. Son signifié, quant à lui, s’avère être le passage de l’échos à l’effet, le passage du neutre à l’expressif. D’où le secret de l’être réside distinctement dans sa voix, dans cette part obscure qui vibre et chancelle indifféremment en lui, comme pour le doter d’une marque ou d’une vérité. La phénoménalité de la voix, c’est dire sa particularité externe, est la somme de toutes les composantes de l’être : psychologique, sociale, caractérielle, culturelle et éducative. La voix est tellement magique qu’elle peut ensorceler son récepteur. Elle est ou bien poétique et donc elle émerveille et intrigue, ou bien chimérique et donc elle déplait et ennuie. Dans sa relation avec le visage, la voix semble accomplir une fonction programmatrice de l’admiration et/ou du rejet d’un visage. Le visage vit dans le regard de l’autre alors que la voix vit dans son oreille. La voix conditionne la réception d’un visage, elle crée des émotions et envisage des attentes. Dans cette perspective, Jacques Derrida voit que la voix possède une « étrange autorité» dans le cadre de la relation à l’autre. La voix marque la rencontre dès lors qu’elle traverse la mémoire auditive de l’être. Et comme s’il s’agissait d’une voix off qui remonte des profondeurs de la mémoire, la voix crée une nostalgie implacable chez l’être, ce qui favorise le fonctionnement de la réminiscence et du souvenir. La voix se refuse à la logique de l’aphasie car, bien que l’être ne se prononce pas, sa voix en tant que trace indélébile creuse son chemin d’être éternellement reconnue dans les mémoires auditives de ses proches. La voix œuvre à meubler le blanc et le vide existentiels que nourrit l’absence physique d’un être. Elle colmate la brèche qu’alimente la distance entre êtres. Grain, comme le pose Roland Barthes, la voix éveille les sens. Retrouver une voix c’est retrouver tout un passé, c’est entrer en soi afin de méditer sur le devenir des choses et des êtres du mondes. Grâce à sa magie, grâce à sa force, la voix conduit l’être dans les labyrinthes de toutes ses mémoires confondues (gustative, olfactive, auditive, tactile et visuelle) tout en lui rappelant ses désirs, ses phantasmes et, éventuellement, ses angoisses et ses blessures. La voix a une âme singulière et simple. Cette âme recèle le secret d’être humain, la faiblesse humaine, la douleur humaine, la passion humaine, le bonheur humain et, bien entendu, la mort humaine. La voix est et n’est pas. Et comme elle est profondément liée à la nature humaine, elle la jonche de toutes les couleurs allant du tragique au jouissif. La voix est érotique, diabolique, chimérique et, parfois cynique. Elle est tout et rien. Elle peut transporter comme elle peut laisser indifférent. Non qu’elle soit neutre et inexpressive, mais parce qu’elle lui arrive de sombrer dans un vide sensoriel. La voix disparaît dans l’air comme « son » physique mais demeure en tant que lien spirituel. Elle  porte sa mort matérielle en elle, et sa survie dans la mémoire auditive de l’autre. Roland Barthes écrit : « la voix est toujours déjà morte, et c’est par dénégation désespérée que nous l’appelons vivante ; cette perte irrémédiable, nous lui donnons le nom d’inflexion : l’inflexion, c’est la voix dans ce qu’elle est toujours passée, tue. » Toutefois, la voix s’avère être cette apparence de l’autre en nous, son passage dans notre vie et son appartenance à notre mémoire… 


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