Fenêtre : Le goût de la poésie


Atmane Bissani
Jeudi 9 Février 2012

«Entends ce bruit fin qui est continu, et qui est le silence. Ecoute ce qu’on entend lorsque rien ne se fait entendre. » C’est bien Paul Valéry qui parle ainsi dans « Tel quel. » C’est bien la voix du poète qui revisite le sens du « silence », cette profondeur humaine, cette langue maternelle, comme dirait Beckett. Prière, la poésie aiguise la nostalgie d’être perdu dans les limbes, en attente d’un baiser parfumé des secrets de l’âme ; en attente de l’éveil d’un sixième sens. La poésie enseigne l’admiration des choses simples. Elle enseigne l’amour du naturellement métaphorique.  La poésie sonde le sens de cet inconnu qu’est l’être. Elle est profondeur et illumination. Rien n’est plus profond, en effet, que le silence. Rien n’est plus beau qu’une couleur illuminée quelque part dans un visage, dans le ciel, dans un sourire. La poésie s’avère être cette quête des murmures de l’âme humaine qui « aime.» Le poète et philosophe allemand Hölderlin avait le mot juste : « l’homme vit sur la terre poétiquement. » Vivre poétiquement ou ne pas vivre demeure la question fondamentale qui structure le devenir de l’être. Il s’agit ici d’avoir un regard poétique qui détermine le type de rapport qui lie l’être au monde. Le regard poétique se veut cette conception du monde et de ses choses comme étant des prolongements logiques de l’âme de l’être. Il s’agit tout bonnement d’explorer la face cachée des choses, et ce en allant dans leur profondeur abyssale afin de découvrir leurs secrets qui ne sont, en dernière analyse, que leurs âmes voilées lamentablement. Vivre poétiquement sur la terre revient à interroger le physiquement possible afin de justifier la quête du métaphysiquement inaccessible. C’est partir de l’étant vers l’être. C’est jouxter le métaphorique comme énigme poétique et stipuler le méditatif comme visée philosophique. Poésie et philosophie, métaphore et méditation se rejoignent, en fait, pour définir le « mot » et ses mystères, le monde et ses complications, l’être et ses rêves. Vivre poétiquement sur la terre implique l’être dans une errance implacable qui le conduit jusqu’aux limites de son expérience existentielle : voyager au-delà du sensoriel pour atteindre l’insolite. Tout se passe ici comme s’il s’agissait d’une permanente quête du beau, du bien et sage au détriment du laid, du mal et du faux. La poésie est folie. Elle est folie sage, tendre et rédemptrice. Elle équilibre l’errance de l’être et lui montre le chemin qui lui permet de vivre en paix et en harmonie avec le monde : repérer la beauté dans la laideur et le bien dans le mal ; transcender le tragique d’être en faisant renaître incessamment l’enfant endormi qui nous habite. La poésie nécessite l’effort de la retrouver et de la rencontrer en tout et partout. Le soleil est poésie. La pluie est poésie. Le sourire est poésie. L’amour est poésie. L’amitié est poésie. Qu’en est-il de la maladie, la vieillesse et la mort ? Vivre poétiquement sur la terre veut que l’être fabrique une poétique de toutes les formes qui traversent son existence. Ainsi aura-t-on une poétique de la vie, une poétique de la mort, une poétique de la beauté, une poétique de la laideur, une poétique de l’amour, une poétique de l’amitié, etc. Epiphanie, forme visible de l’invisible, la poésie est acheminement de la parole vers la parole elle-même qu’est le poème dans son état pur, comme le pose Heidegger. Le temps de la poésie c’est le futur, son lieu, quant à lui, c’est le passé. Autrement dit, son temps c’est le nostalgique, son lieu c’est le mnésique. Entre futur et passé, entre nostalgique et mnésique c’est pratiquement tout le visage du poète qui surgit des décombres de l’absence. Le poète, cet autre qui n’est autre que lui-même, cet éveilleur des « sensations englouties de ce lointain passé », selon le mot de Rainer Maria Rilke s’adressant au jeune Kappus ; le poète, ce médecin des âmes malades, ce prophète cosmopolite, est aussi un enfant rebelle, un vieux sage et un jeune révolté. Sa leçon inaugurale s’avère être libération et liberté, cosmopolitisme et altérité, sagesse et provocation. La poésie se situe entre Eros et Thanatos, entre Apollon et Dionysos, entre Yin et Yang, entre Féminin et Masculin. Sa fonction est cathartique. Elle est illumination. Elle sonde le possible. Elle est expérience intérieure. Elle est dialogue avec l’absent. La poésie ne dit pas le monde, elle le suggère. Sa cartographie demeure le labyrinthique, l’enfoui, le sibyllin et le fantasmagorique. Face au matérialisme épatant qui ne cesse de faire de l’être un étant, la poésie se propose de faire jouir, poétiquement, l’être de son être. Elle lui rappelle son origine divine, comme le pense les maîtres soufis, et l’engage dans la perspective de la recherche de sa trace occultée dans son for intérieur. La poésie est aventure d’être. Elle est désorientation de l’orienté. Elle est destruction du construit. Elle est déconstruction des mécanismes de toute vérité absolue. Si la poésie dérange, c’est parce qu’elle accomplit honorablement son rôle historique. Si elle guérit des maux du présent, c’est parce qu’elle accomplit honorablement son rôle philosophique. La poésie serait, incontestablement, le secret d’être de l’être. Harmonie, la poésie  passe pour  cette énergie occultée de l’être qui, ou bien, aménagerait son existence si elle est récupérée, ou bien pérenniserait son tragique si elle reste refoulée. Par trop être simple et facile, la vie des sages est harmonieusement poétique. Par trop être compatibles avec le réel, les désirs des petites gents favorisent l’harmonie poétique de leurs vies. La poésie est appel…


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