Fenêtre… : La logique de l’incertain

Jeudi 11 Août 2011

La curiosité intellectuelle commence par le refus de toute certitude quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne. Depuis son arrivée au monde, l’homme se trouve assiégé de vérités et de certitudes qu’il ne peut réfuter car, semble-t-il, elles sont l’œuvre des ancêtres. Chaque temps a besoin de ses propres idées et de ses propres hommes. Et donc la première des choses à faire reste la libération d’un esprit et d’une énergie critiques habilités à vérifier la justesse des vérités et des certitudes acquises. Il s’agit là d’une opération de quête du/des sens caché/s des êtres et des objets du monde. Que peut l’écriture dans ce sens ? Lato sensu, l’écriture, pratique communicationnelle, se veut, essentiellement, une opération de restructuration du monde par le truchement de l’imaginaire. Le souci d’une telle restructuration du monde émane forcément du sentiment d’incertitude qu’éprouve l’être vis-à-vis de l’intrigue du sens. Dans cette perspective, Milan Kundera, écrivain français d’origine tchèque, considère que le sens, l’impossible par excellence, est à chercher derrière le rideau magique de la préinterprétation. Kundera opte ici pour le déchirement du voile du sens préétabli et donc la recherche d’autres sens et d’autres significations capables de dissiper certaines vérités acquises soit par l’éducation, soit par l’incapacité de fonder d’autres formes de penser. Le travail de Kundera, dans cet esprit, est à entendre dans le sens de déprogrammation du fait accompli et, ipso facto, la proposition d’autres programmes de significations vouées, elles aussi, au dépassement, cheminement logique de l’Histoire. Ainsi défini, le travail de Kundera est-il de l’ordre d’une sémiosis, c'est-à-dire un processus interminable de production de signification. Ceci étant, l’écriture de Kundera puise ses fondements théoriques à la fois de la philosophie et de la littérature. Cet adepte de la phénoménologie, conscientisation de la présence, déjoue les sens préétablis des choses et des êtres tout en s’employant à les passer sous l’étamine de l’épreuve de l’existence. Kundera tente ici de dévoiler la condition humaine tout en s’essayant au dévoilement de ce que l’être est. Il s’agit pour Kundera de déconstruire la centralité de l’être, d’interroger l’inédit de son expérience ontologique, de saisir le sens de ses  secrets et de ses mystères, ses peurs et ses rêves. Ses romans, ses essais et son théâtre en témoignent à bien des égards. L’écrivain tchèque revisite, effectivement, l’héritage littéraire et philosophique européen, en particulier, afin de re-penser la modernité comme donnée historique en cours d’accomplissement. Kundera se propose de démasquer la réalité des temps modernes en faisant recours au rire, à l’ironie et à l’humour. Dans « L’insoutenable légèreté de l’être», à titre d’exemple, Kundera passe Tomas et Teresa au crible de la conscience ontologique afin de vérifier, dans le détail près, leur habilité à vivre l’expérience de l’existence. Le corps et l’âme sont, principalement, les entrées que propose Kundera pour une telle expérience. Kundera choisit des personnages intellectuels en vue de véhiculer son message portant sur la fausse morale et sur la légèreté comme monnaie courante dans les temps modernes. Il interroge ce qu’il appelle l’essence de la problématique existentielle de l’être. Ainsi, la question à poser demeure-t-elle : à quel point l’être peut-il vivre sans masque ? D’où le kitch, c’est-à-dire le factice et le mensonger, comme notion-clé dans le lexique romanesque de Kundera. D’où l’impossibilité d’une certitude dans le monde des apparences et des stéréotypes. Les personnages de Kundera, ego expérimentaux, sont partagés entre ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent être. C’est pratiquement dans l’amphibologique que se dessinent leurs destins en ceci qu’ils les dépassent. Seul l’art du roman, genre élu par Kundera, est qualifié de mettre sur scène les enjeux de la réalité humaine. Kundera dans ce sens écrit sur la base du soupçon dès lors que l’expérience humaine est incertaine dans un monde incertain. Ceci explique son recours à l’esthétique de l’impureté, laquelle décloisonne les genres de l’expression humaine afin d’en faire un genre bâtard. Telle s’avère être l’originalité du roman postmoderne dont Don Quichotte de Cervantès reste, incontestablement, un archétype. Chez Kundera, tout contribue à  rendre incertaine toute certitude et incomplète toute complétude. Tout contribue à déplacer le centre vers un autre centre incertain. Tout se passe ici comme si le doute, l’incertain et l’amphibologique étaient en définitive l’image de marque de l’homme des temps modernes… 

Atmane Bissani

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