Fenêtre... : “Je est un Autre”


Atmane Bissani
Jeudi 14 Octobre 2010

Le mot «  Je est un Autre » est de provenance rimbaldienne. Il est for expressif en ceci qu'il traduit un autre type d'altérité : la différence en soi. En effet, on a coutume de voir l'altérité comme étant un rapport qui lie le même à l'autre étranger, celui qui existe en dehors de soi, celui qui se déploie comme expérience existentielle autre. Le mot d'Arthur Rimbaud est tellement philosophique que sa dimension poétique acquiert la fonction d'une méditation problématique qui s'engage dans la logique de redéfinition de la notion de l'être comme notion confuse. C'est théoriquement et pratiquement cette dichotomie « je/autre » qui fonde le Dasein humain. Le mot d'Arthur Rimbaud est une négation de la soi-disant parfaite connaissance de soi du fait que cette connaissance occulte cette autre face obscure de l'être qu'est ses folies, ses rêves, ses désirs inassouvis et ses tendances inconscientes. La valeur incontestablement ajoutée de ce mot d'Arthur Rimbaud c'est d'ôter le voile sur l'étrangeté de soi par rapport à soi. L'être est par voie de conséquence inconnu par rapport à lui-même. Dans une optique psychanalytique, il y a là un dépassement du cogito cartésien « je pense donc je suis » dès lors que la connaissance de soi n'émane pas du seul exercice de la raison, mais plutôt et surtout de l'exercice de la déraison. Elle émane plus de l'impensable que du pensable. Se saisir comme étranger à soi libère l'être de sa fausse plénitude. Cette logique est d'obédience mystique car à partir du moment où le «je» se conçoit comme «Autre», il se conçoit également comme prolongement métaphysique de l'absolu. Ainsi se libère- t-il de son tragique sentiment d'être fini pour se confier au bonheur de l'infini. Au fond, finitude et infinitude sont les deux mots d'ordre qui structurent la signification de «Je est un Autre.» La finitude de «Je» se rectifie par son prolongement dans cet «Autre» qu'est la structure de sa possibilisation comme ayant un sens. Le sens de «Je» dépend donc de son attachement à soi comme soi et comme Autre. Le «Je» se rencontre lorsqu'il s'admet comme étant «Autre.» Il se reconnaît comme étranger et comme étrangeté par rapport à soi et par rapport au monde. Il faut dire dans cette perspective que la véritable étrangeté à soi commence par la négation de l'altérité en soi. C'est lorsque «Je» se considère comme étant une identité totale qu'il verse dans son tragique existentiel. Par contre, lorsqu'il se propose comme altérité initiale il transgresse sa propre énigme d'être et découvre son originalité. «Je» est une profondeur à cerner par le seul repérage de cet «Autre » qui la compose intrinsèquement. «Je est un Autre » est une formule intrigante car elle ne précise pas de quel «Autre» il est question. L'article indéfini «un» ne délimite pas l'essence de cet «Autre» auquel fait allusion la mot d'Arthur Rimbaud. Eu égard à cette ambiguïté, l'«Autre» peut fonctionner ici comme étant la féminité en ce qui concerne la masculinité et la masculinité en ce qui concerne la féminité. L'«Autre» que renferme le « Je » demeure à plus forte raison cette trace refoulée de l'étranger en soi. C'est cette dualité qui fonde l'unicité. La récupération de l'« Autre » en soi dégage la mémoire existentielle de ses oublis ontologiques. Elle la réconcilie avec son passé mythologique et son avenir métaphysique. Elle la dessaisit de ses peurs ataviques et la guérit de ses angoisses acquises. « Je est un Autre» est un enseignement qui laisse entendre que l'avenir de l'être s'avère sa capacité de se saisir comme altérité. Pour que «Je» ne se haïsse pas, il est obligé de se reconnaître comme «Autre», c'est-à-dire comme ouverture sur ses limites d'être, sur ses potentialités existentielles et métaphysiques. Le «Je» recèle en lui sa propre légende d'être pluriel s'il se réactualise comme «Autre.» L'identité de «Je» réside dans la différence radicale qu'il porte en lui-même. Tout se passe ici comme si l'épanouissement de l'être était fondamentalement lié à sa conception à la fois comme «Je» et comme «Autre.» Tout se passe comme si «Je» était la forme et «Autre» était le contenu. Entre forme et contenu, la distance qui sépare l'être de son propre être élargit la compréhension et la rend tellement épaisse qu'un Gustave Flaubert n'hésite pas à dire : «Madame Bovary c'est moi.»…


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