Fenêtre... : Fernando Pessoa : de l’Intranquillité


Atmane Bissani
Jeudi 2 Décembre 2010

L’écrivain et poète portugais Fernando Pessoa constitue un tournant décisif dans le cadre de la littérature universelle et ce par la mise en fonctionnement de la thématique de l’”intranquillité” qui traverse son œuvre aussi bien au niveau du contenu qu’au niveau de la forme. On n’aura aucunement tort de poser que Fernando Pessoa est une “littérature dans la littérature.” Nombreuses en effet sont les facettes qui représentent sa littérature sous le signe d’un travail de saisissement de la condition humaine dans ce qu’elle a de plus compliquée : son incompréhensibilité. Sa littérature ne laisse point indifférent en ceci qu’il interpelle le lecteur à sombrer dans les intrigues de sa condition existentielle. Par son art d’approfondissement de la part métaphysique de l’être, Fernando Pessoa rend énigmatique l’existence humaine en la plongeant dans une errance composée. L’univers imaginaire de Fernando Pessoa est tellement amphibologique qu’il échappe à toute possibilité de repérage. Ses personnages ne sont autres que ses doubles, ses représentations interminables. D’où la fonction de l’hétéronyme qui répond d’abord à un jeu d’enfant. Solitaire qu’il était, en fait, Fernando Pessoa éprouvait le besoin de fuir à son esseulement par la création d’amis fictifs. Grand, il continuait le même jeu  mais avec plus de complications. Fernando Pessoa se faisait un monde partagé entre le délire de l’être inconsolé de tragédie d’être, et le plaisir de se voir dédoubler comme dans une glace fantastique où, comme chez Jorge Luis Borges, les sentiers ne cessent de bifurquer. Soixante-douze hétéronymes, soixante-douze métaphores de l’existence humaines, soixante-douze “autres” habitant le même corps, celui de Fernando Pessoa. Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Alvaro de Campos et bien d’autres fluctuations de Fernando Pessoa forment l’ossature de ce théâtre de l’être où le diable nourrit la flamme du dire narratif et cultive le feu de la création poétique. En faisant recours à l’art et à l’esthétique de l’hétéronyme, Fernando Pessoa œuvre à se dépersonnaliser comme trace physique afin de méditer sur sa trace métaphysique. Tout se passe ici comme si l’hétéronyme avait pour fonction fondamentale d’effacer la présence humaine corrompue et de sonder son absence qui demeure indéfinie. Autrement dit, tout se passe comme si, à travers son œuvre angoissée, Fernando Pessoa voulait retracer le cheminement de l’” intranquillité “ comme définition de la condition humaine. Il s’agit dans ce sens de mettre le doigt sur l’insatisfaction ontologique qui fait de l’être un éternel errant. De nomadisme en nomadisme, de texte en texte Fernando Pessoa dévoile l’homme à l’homme et dénonce la tranquillité comme faux sentiment. D’angoisse en angoisse, de poème en poème Fernando Pessoa déstabilise les certitudes et crée des sensibilités tragiques. Dans “Le livre de l’intranquillité”, il écrit ceci : “Je suis à peu près convaincu de n’être jamais réveillé. J’ignore si je ne rêve pas quand je vis, si je ne vis pas quand je rêve, ou si le rêve et la vie ne sont pas en moi des choses mêlées, intersectionnées, dont mon être conscient se formerait par interpénétration.” S’étant exprimé ainsi, Bernardo Soares, hétéronyme de Fernando Pessoa, semble vouloir poser la question suivante : existe-il des frontières étanches entre réalité et imaginaire ? Vit-on ou rêve-t-on ? Tout porte à croire que pour Fernando Pessoa la vie est un rêve éveillé qui nécessite beaucoup d’énergie et énormément de patience afin de le saisir. Le saisissement de l’essence de la vie existe donc dans son dessaisissement, dans sa dynamique échappatoire qui brouille les traces et déloge le sens. L’univers littéraire de Fernando Pessoa enseigne qu’entre rêve et réalité, l’être consomme son angoisse et s’alimente de son intranquillité. Il est dans la fragilité de vivre puisqu’il est délaissé dans un hic et nunc insoutenable. Ceci dit, Fernando Pessoa est par excellence un auteur inattendu. Il est l’auteur des grandes surprises et des grandes ruptures. Sa littérature est pour ainsi dire structurée autour des possibles de l’expérience de l’écriture en tant qu’expérience existentielle. Fernando Pessoa n’avait ni la vie ni l’écriture faciles. Et comme la vie et l’écriture conditionnent le style d’un auteur, Fernando Pessoa avait le style d’un artiste, d’un fin connaisseur des maux de l’âme humaine et de la chimie qui la compose…


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1.Posté par yasmine le 26/12/2010 17:25
Merci, tout simplement

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