Fenêtre : Du rationalisme


Atmane Bissani
Jeudi 22 Décembre 2011

Nul ne peut penser le réel en dehors du réel, et nul ne peut se saisir dans le mouvement de l’histoire tout en demeurant anhistorique. Seuls les faits réels traduisent ce qu’est le réel, et seule la logique de l’histoire traduit le sens de l’histoire. Si tel est le cas, la logique, si logique il y a, veut que le vocabulaire de la raison chasse celui de la déraison. Il n’existe pas de grammaire rationnelle qui évolue sur la base du rêve. La raison n’est pas le songe, car le songe est mensonge. La raison n’est pas la vision, car la vision est illusion. Que reste-t-il ? La raison, bien entendu, purifiée de tout ce qui pollue le sens propre de l’entendement. Scientifiquement, l’entendement émane de l’observation physique d’un fait, de sa conscientisation et de son analyse. Les résultats viennent après avoir étudié et déconstruit logiquement le fait. Si les rationalistes font de la logique de la pensée le point de départ qui mène à la connaissance, s’ils font de la pensée libre et incertaine un moteur révélateur d’une connaissance possible, c’est pour battre en brèche toute connaissance superstitieuse du monde. Contrairement aux adeptes d’une certitude infondée, les rationalistes choisissent de porter si haut le flambeau de la connaissance vérifiée et justifiée par la loi de la raison. Ils opèrent par ce faire une véritable révolution guidée par la seule lumière de la raison. Une pensée ne se rêve pas ; elle se travaille. Une révolution est culturelle ou n’est pas. D’Averroès à Spinoza, de Montesquieu à Laroui, la lumière de la raison décide de l’orientation des peuples. Le rationalisme d’Averroès, de Spinoza, de Montesquieu, de Laroui, et j’en passe, était constamment chassé par une seule et unique voix : le dogmatisme religieux et/ou politique. En effet, tout au long de l’histoire de la pensée humaine, la conception dogmatique de la religion et de la politique faisait de la raison le lieu de tous les maux de la société humaine. Une telle vision du monde, s’il s’agit bel et bien d’une vision du monde, demeure, dans le meilleur des cas, eschatologique en ceci qu’elle ne prône rien d’autre que la fin des fins sans pour autant s’occuper du présent et du futur de l’homme. Le rationalisme, lui, est venu pour défendre et libérer l’ « être » d’une pensée unique fondée sur la vision, le rêve et le mensonge. Le rationalisme est libérateur de l’être dès lors qu’il lui montre le chemin de l’avenir. Demain, en fait, ne se rêve pas, ne se songe pas ; il se crée par les moyens de l’instant et par la volonté de devenir. Il est fort bien de rêver et de souhaiter, mais il est fort grave de communiquer les illusions et les utopies aux petites gens. Ces gens là qui croient par inadvertance au langage chimérique et éloquent des vieux escrocs. Ces gens là qui se laissent guider par la volonté des autres. Ces gens là qui se laissent faire par le dogmatisme religieux et politique des vieux lecteurs de mythes. Dans « Le nom de la rose » Umberto Eco a démontré le fonctionnement du dogmatisme religieux dans un monde régi par une seule loi et une seule foi : l’autorité de l’église qui refuse la circulation d’un livre d’Aristote. Le dogmatisme religieux et politique travaille sur la faiblesse émotionnelle et rationnelle des gens. Il colmate la brèche délaissée essentiellement par les décideurs politiques supposés être honnêtes. Le dogmatisme religieux et politique avance sans faire de bruit et sans trahir ses secrets. Mais il est là. Face à ce type de penser, les rationalistes se motivent et se décident à réagir par la remise en question des fondements du dogmatisme religieux et politique. La philosophie s’avère être l’élément fondamental qui puisse faire face à ce raisonnement creux et superfétatoire. La philosophie a pour mission de base l’orientation rationnelle de l’être. Elle lui permet de cheminer librement et indépendamment des illusions du dogmatisme religieux, politique ou autres. La philosophie éduque à la citoyenneté, favorise le droit à la différence et assure la fabrique de la connaissance. A l’école, le petit de l’homme apprend, ou bien le dogmatisme sous toutes ses formes, donc la révocation des valeurs et des principes universellement reconnus ; ou bien une pensée libre, donc la reconnaissance de l’existence inconditionnelle de l’autre comme différence, être adapté aux normes civiles d’une société démocratique où le droit et le devoir vont de pair. L’école aujourd’hui est invitée à honorer sa mission d’antan : purifier les esprits, dénoncer le repli identitaire, éradiquer le dogmatisme, nourrir l’espoir d’être, etc. « On ne naît pas sujet, on le devient », dirait Sartre. Oui. Car la conjoncture l’impose. Le sujet est conscient de son devenir et de son avenir, le non-sujet, lui, est perdu dans les labyrinthes d’une pensée qui continue de meubler le vide par les rêves des négativistes, leurs songes et leurs visions ( ?). Le rôle des rationalistes est définitivement décidé en ce moment décisif de l’histoire des peuples. Le dogmatisme n’a plus de place sauf si les acquis de la philosophie ne sont plus. Il n’est point trop dire de poser comme évidence que le dernier recours de nos sociétés est aujourd’hui celui de séparer le champ spirituel du champ temporel. La profondeur entre les deux champs est tellement abyssale qu’on ne saurait la saisir en un laps de temps…   


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