Fenêtre : De la pensée du rire

Jeudi 23 Juin 2011

Le travail de la pensée se fait à partir de trois étapes fondamentales : observation du réel (le monde), sa conscientisation et la production d’une théorie à son propos. Nombreuses sont les manifestations de cette pensée du monde. Littérature, philosophie, cinéma et bien d’autres formes de l’expression/expérience humaine participent à la compréhension du monde. De même pour le rire qui peut être l’une des moyens propres à la connaissance du monde. Le producteur du rire observe le réel, le conscientise et finit par créer une œuvre satirique, humoristique, ironique ou autres à son propos. Rire ou ne pas rire, c’est la question. Le rire est l’une des manifestations naturelles propres à l’homme. L’homme est pratiquement connu par sa disposition à rire, à s’exprimer, outre la parole et la gestuelle, par l’émission d’un ensemble de voix mettant en valeur l’état de gaieté qu’il vit sur le moment. Le rire, tel que Bergson le définit dans son ouvrage intitulé «Le rire», c’est « du mécanique plaqué sur du vivant.» Tout porte à croire ici que le rire accomplit une fonction mécanique, physique dans un contexte bien déterminé. Il faut qu’il y ait un motif externe à l’être, un fait objectif qui peut prêter à rire. Le rire est à définir à partir de plusieurs optiques: philosophique, psychologique et sociologique. Philosophiquement, le rire revient à interroger le sens de l’existence, le sens d’être venu au monde, le sens métaphysique que recèle l’énigme de l’Etre. Le théâtre de l’absurde  nous apprend dans cette perspective que le rire guérit du tragique d’être. Rire, dans cet esprit, c’est mettre en crise le non sens de l’existence, c’est possibiliser l’existence. Le rire ici fonctionne comme moteur de dépassement critique de l’ontologiquement tragique. Le rire devient, en dernière analyse, l’unique et seule issue permettant à l’être d’affronter le monde, ses mystères et ses imprévus. Psychologiquement, le rire rend à l’âme toute son aura et tout son enthousiasme. Révélateur de l’être, le rire fonctionne dans ce sens comme étant un libérateur de l’être de sa prison d’être. Il le soulage de la lourdeur de sa psychologie mouvementée. Tout se passe comme si le rire était inhérent à une psychologie équilibrée de l’homme. L’homme a besoin de rire pour s’adapter au quotidien. Le rire psychologique, individuel, émane d’une conscience malheureuse qui traduit l’état d’une conscience collective en devenir. Au niveau social le rire est l’une des formes civilisées (théâtre, cinéma, télévision, littérature, blagues, graffitis, etc.) qu’adoptent les citoyens pour critiquer leurs sociétés. Le rire de la société est rire sur la société elle-même. C’est un rire qui vise le dépassement des vices et des anomalies de la société en guise de changement. Dans cette optique, une société qui ne cultive pas le sens de l’humour, de la satire et du comique n’évolue pas. Si philosophiquement le rire porte sur l’«être» en tant que problématique ontologique, et s’il porte psychologiquement sur le «moi» individuel en tant que psychologie, sociologiquement le rire porte sur la «société» en tant que lieu/temps versatile. Le rire fait partie de la santé de la société et de l’individu. Rire traduit une certaine compréhension du réel. Il explique le réel et justifie le devoir de le surpasser. D’où la phénoménalité du rire. En effet, tout rire est rire de quelque chose. Le rire est donc une conscience qui stipule la fabrique du possible. Le rire est contestataire. Il se fait suivant des situations données. Le rire est une arme qui désarme dès lors qu’il déjoue les mécanismes de la rigidité imposée par les «agélastes», c'est-à-dire, Milan Kundera en parle dans «Le rideau», ceux qui ne savent pas rire, ou encore ceux qui ne vivent pas en paix avec le comique. Le rire se dessine et se voit sur le visage comme état, comme signe, comme empreinte d’être heureux. Cependant, rire ne veut pas dire forcément être heureux. Le rire se vit comme condition d’être au monde, car sans rire le monde serait insupportable. Rire pour oublier. Rire pour ne pas se sentir seul. Rire pour vaincre la mort. Rire pour aller dans l’âme des choses. Rire pour vire. Autant de motifs qui expliquent le recours, voire le besoin de rire. Autant de raisons, certes, mais il n’ y a pratiquement qu’une seule qui puisse condenser le pourquoi du rire : vivre convenablement dans un monde inconvenable ; vivre facilement dans un monde difficile ; bref, pouvoir vivre quelles que soient les conditions de vie. Le rire aide l’être à supporter la difficulté d’habiter le monde. Le rire est viatique. Il est la source de toute l’énergie dont l’être a besoin pour cheminer. Si pleurer rejoint la région de la mort chez l’être, rire rejoint celle de la vie. Entre la vie et la mort c’est toute l’existence qui est mise en épreuve…

Atmane Bissani

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