Fenêtre : Amour et altérité


Atman Bissani
Mercredi 16 Février 2011

La tradition a voulu que le 14 février de chaque année soit considéré comme la fête de l’amour et des amoureux. Il s’agit tout simplement de la Saint-Valentin qui rend hommage à l’une des énigmes les plus cajoleuses de l’existence humaine : l’amour. Pourquoi aime-t-on ? Est-ce sagesse d’aimer ? Est-ce sagesse de se passionner pour une autre personne ? Et qu’en est-il de l’altérité ? L’altérité serait à plus forte raison la simple et profonde définition de l’amour. L’amour, lui, serait sans réserve aucune la sage définition de l’altérité. En effet, l’altérité est le fondement de toute relation interhumaine structurée essentiellement autour de la notion d’«aimer». Autrement dit, seul l’amour peut être à l’origine de toute pratique altéritaire, en ceci que l’altérité est une invitation à un amour fondé sur le respect mutuel et sur la reconnaissance de la différence de l’autre en tant qu’autre. C’est dans l’amour, rien que dans l’amour, que se vérifie le vrai sens de l’altérité : on accepte la différence ou on ne l’accepte pas; on tolère la distinction ou on la tolère pas; on reconnaît la particularité d’être ou on ne la reconnaît pas. La fusion amoureuse crée une énergie intense dans le cœur de l’amant et purifie son âme. Contrairement au désir qui ne fait valoir que le seul corps; dans la relation amoureuse, le corps ne fonctionne pas indépendamment de l’intervention de l’âme. Tout se passe comme si l’âme conduisait le rythme du désir, nourrissait le sentiment d’être avec et, du chiffre « deux », fabriquait l’unicité. Le sentiment d’aimer est inné, et s’il va mal c’est le conditionnement social et éducatif qui le désoriente et le déprogramme. Aimer provient d’une volonté et engendre une autre volonté, celle de partager. L’amant aime parce qu’il a besoin d’être aimé. Il veut que l’autre le fasse exister en faisant de lui un « objet » de passion, une source d’inspiration, un fondement ontologique. Giorgio Agamben et Valeria Piazza considèrent dans leur livre intitulé « L’ombre de l’amour : le concept d’amour chez Heidegger » que ce dernier aurait pensé « Etre et temps » à partir de sa passion pour Hannah Arendt, la passion de sa vie, comme il se plaisait à dire. La philosophie, la littérature ou l’art tirent leur originalité de cette passion qui unit, qui lubrifie le litige et possibilise la vie avec. Aussi rationnel qu’il puisse être, aussi mathématique qu’il puisse paraître, il n’existerait point pas de pensée sans fondement amoureux. Hegel le disait : «Rien de grand ne se fait sans passion. » La passion est maîtresse, son rejet est faiblesse. L’amour est une ouverture sur le possible que promet l’autre. L’aventure amoureuse ne se réduit pas à une simple aventure, mais plutôt il se comprend comme ultime leçon de l’existence de l’être. Existentiellement, l’être est jeté dans le monde. Il est là, dans la facticité de l’existence. Il s’angoisse d’être saisi dans la faiblesse d’«être sans». L’amour le sauve. Il le rachète en lui rappelant qu’il a toujours été « avec » et qu’il ne peut qu’« être avec. » La trace des maîtres soufis est fort instructive dans cette optique. Ces fins connaisseurs de la chimie de l’âme humaine  voient que la catharsis, si catharsis il y a, ne peut provenir que du sentiment amoureux qui dompte et  transcende la matière pour goûter des plaisirs des sens. Du visage au corps, du corps à l’âme et de l’âme l’acheminement vers l’immortalité se fait lumière. La lumière qui provient d’un corps ne l’éclaircit pas forcément, elle éclaircit son entourage. Tel est le cas pour l’amour qui, une fois mis en œuvre, illumine l’univers tout entier sans pour autant être, visiblement, illuminé lui-même, car sa lumière est intrinsèquement liée à sa nature. Ainsi reconnaît-on facilement son œuvre car elle laisse des traces indélébiles. L’amour domestique le sauvage, apprivoise le barbare et guérit de l’orgueil. Justement, le sens de l’altérité émane de là : l’amour apprend à l’être à être à l’écoute de l’autre. L’amour serait incontestablement bancal sans sens de l’altérité. L’altérité motive la passion amoureuse et la rend fructueuse car l’amour est d’abord un « don». L’altérité apprend à l’être que le « don » est le secret de la vie. Quant à l’amour, il lui apprend que sans « don » rien n’est possible. Amour et altérité : le couple semble bien marié car de sa masculinité l’amour fonde la féminité de l’altérité, et de sa féminité l’altérité fonde la masculinité, de l’amour. Entre le « f » et le « m » c’est toute l’histoire humaine qui continue de cheminer. Aimera-t-on ou n’aimera-t-on pas ? Simple et compliqué à la fois, l’amour trouvera toujours des échos dans le sens que l’être donne à la notion de l’altérité…


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