“Et maintenant on va où?” de Nadine Labaki : Les mères en guerre contre la guerre


AFP
Jeudi 19 Mai 2011

Cette fois les femmes ont décidé de mettre un terme à la boucherie et sont prêtes à tout pour empêcher leurs hommes de jouer à la guerre, produisant depuis des décennies du malheur et des veuves.
Après "Caramel", la cinéaste libanaise Nadine Labaki donne de nouveau la parole aux femmes de son pays mobilisées pour la cohabitation entre communautés dans "Et maintenant on va où?".
Le film, dédié "à toutes les mères qui ont perdu un fils dans une guerre", a été présenté à Cannes dans la section "Un certain Regard" et accueilli dans l'enthousiasme et des rires aux larmes.
D'un combat l'autre, le cimetière du village n'a cessé de s'étendre, transformant les femmes en ombres noires portant le voile ou la croix.
Multiconfessionnelle, la mort a frappé des deux côtés, chez les chrétiens comme chez les musulmans.
Ingénieuses et très drôles parfois, elles imaginent mille stratagèmes pour divertir l'attention des hommes alors que de nouveaux affrontements ont éclaté dans le village voisin: puisqu'un faux miracle chez la Sainte Vierge n'a pas suffi, elles délèguent deux d'entre elles en ville pour louer les services de danseuses de cabaret venues d'Ukraine.
"L'idée de ce film est partie d'une flambée de violence le 7 mai 2008 au coeur de Beyrouth", raconte mardi Nadine Labaki à l'AFP. Les combattants du Hezbollah fondent sur le centre commerçant de la ville et prennent contrôle de ses rues pendant quelques heures.
"Je venais tout juste d'apprendre que j'étais enceinte: je me suis demandée jusqu'où j'irais pour protéger mon enfant. Et je sais que j'irais très loin".
Née avec la guerre du Liban en 1974, elle a grandi, explique-t-elle, avec ce sentiment d'une catastrophe imminente toujours possible. “On sait qu'il suffit d'un rien pour que ça explose et on en a marre de ces conflits interreligieux. Le film exprime ce que beaucoup de gens ressentent au Liban, d'appartenir à une religion plus qu'à un pays".
A tel point que lorsqu'elle a conduit ses repérages dans les villages, elle a suscité l'adhésion immédiate des populations à son projet. A quelques exceptions près, dont elle-même, qui joue le rôle d'Amal (la paix, en arabe) ses acteurs sont tous des amateurs recrutés sur place.
Yvonne, la femme du maire dans le film, est à la ville l'épouse d'un prêtre et dévoile d'impressionnants talents de pitre. Et pour être sûre de bien brouiller les cartes, la cinéaste a confié le rôle du cheikh du village à un chrétien et celui du prêtre à un musulman.
On retrouve la gouaille tendre de ces femmes à l'accent chantant et au vocabulaire tranché qui ont fait le triomphe de "Caramel", "un petit film en arabe", selon les termes de sa réalisatrice, qui a tourné au conte de fées.
Quand elles ont fait barrage aux vélléités belliqueuses de leurs hommes, ses héroïnes se font ici interpeller par les guerriers frustrés: "Et maintenant, on va où?", lancent-ils. "Les femmes n'ont pas la réponse, je n'ai pas la réponse", admet Nadine Labaki.
Son titre renvoie d'ailleurs à l'actualité brûlante du monde arabe et aux révolutions qui secouent les rivages de la Méditerranée.
"J'ai écrit mon film avant les révolutions arabes, mais je me pose la même question: je suis optimiste et j'ai peur à la fois, mais j'espère qu'on va en faire quelque chose".
"Dans la vie, conclut-elle, plutôt que de regarder les choses telles qu'elles sont en me demandant pourquoi, je suis du côté de ceux qui voient comment les choses pourraient être et se disent +pourquoi pas?+". 


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