Entretien avec Kamal Hachkar, réalisateur du documentaire «Tinghir-Jérusalem» : “J’ai cherché à n’être prisonnier d’aucune idéologie”


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Samedi 22 Décembre 2012

La photo illustrant l’entretien avec Kamal Hachkar, réalisateur du documentaire «Tinghir-Jérusalem», paru dans notre édition du samedi-dimanche 22 et 23 décembre 2012 est signée  Allae HAMMIOUI. Une erreur typographique ayant fait disparaitre la signature nous nous excusons auprès de son auteur.  Dont acte.
La photo illustrant l’entretien avec Kamal Hachkar, réalisateur du documentaire «Tinghir-Jérusalem», paru dans notre édition du samedi-dimanche 22 et 23 décembre 2012 est signée Allae HAMMIOUI. Une erreur typographique ayant fait disparaitre la signature nous nous excusons auprès de son auteur. Dont acte.
Kamal Hachkar
est un jeune
franco-marocain, professeur d’histoire et réalisateur d’un documentaire : «Tinghir Jérusalem». Le débat autour de ce film suscite une certaine polémique étant donné
l’importance du thème abordé, à savoir la mémoire juive au Maroc, mais aussi à cause d’une certaine perception voulant refouler davantage le passé et l’histoire. Entre la mémoire et l’histoire, il y avait un film documentaire : «Tinghir Jérusalem». Entretien.


Libé : Un bilan pour le débat et la polémique suscités par votre premier documentaire “Tinghir Jérusalem”

Kamal Hachkar : La tournée a été exceptionnelle. J’ai parcouru plus de 10.000 km et les débats dans tous les Instituts culturels français du Maroc ont été passionnants. Il y a une soif de savoir chez la jeunesse marocaine. Ils étaient très fiers de se rendre compte de la pluralité de leur culture. Le film a marqué l’opinion publique et provoqué des discussions sur nos identités. C’est salutaire, surtout dans ce contexte de replis communautaires.

C’était quoi d’abord le prélude de cette notoriété ?

Dès sa diffusion sur 2M en prime time le 8 avril dernier, il a suscité une polémique d’une certaine frange idéologique, à savoir les panarabistes et les islamistes. Eux, veulent nier la réalité historique de notre pays et se mettent en porte-à-faux avec l’article 1 de la Constitution marocaine qui reconnaît les identités plurielles du Maroc.

Le documentaire a été censuré à Agadir. Cela vous a-t-il impacté négativement ?

La censure qui a eu lieu, au complexe culturel d’Agadir, est scandaleuse. Les autorités se sont pliées au diktat d’une minorité d’obscurantistes. Au contraire, il faut tenir tête à ces personnes et les combattre avec nos idées. J’ai espoir car tous les débats m’ont montré ce désir de vouloir se réapproprier toutes nos mémoires sans exclusive. Maintenant, il faut se battre pour que nos programmes scolaires se mettent au diapason de la nouvelle Constitution. Je lance un appel aux politiques : ayez ce courage et réveillez-vous avant que les populistes gagnent…Il est temps que les jeunes marocains apprennent toute notre histoire plurielle…

Quelle est votre position en tant que réalisateur et acteur dans ce film documentaire ?

Mon film est une quête…Je pars de mes questionnements identitaires pour parler de l’Autre. Ici, la figure juive est absente. C’est un film à la première personne, c’est à travers mon regard de Franco-Marocain de culture musulmane que j’évoque ce monde disparu.
Les juifs et les berbères ont vécu ensemble pendant plus de 2000 ans et aujourd’hui, c’est le vide total. Les seules traces sont celles des morts, qui reposent dans les cimetières de la ville. Mon film permet donc de recréer des liens après 50 ans de coupure et de silence sur cette histoire partagée. J’ai beaucoup réfléchi à ma place dans le film.

Quelle était votre attitude essentielle dans le film ?

Tout au long du film, j’accompagne cette quête par ma présence/absence à l’écran et par ma voix off qui évolue dans ce parcours. Très présent à l’écran au début, je m’efface progressivement pour laisser place aux histoires de mes personnages et à ma voix off qui accompagne nos déplacements.  C’est une voix réfléchie, intérieure. J’assume totalement mon point de vue d’auteur subjectif. C’est à partir d’un point de vue à la fois impliqué et sans parti pris que j’ai construit mon film. Puis, j’ai eu la chance de travailler avec une équipe extraordinaire ; le chef opérateur Philippe Bellaïche et la talentueuse monteuse Yaël Bitton ont été très à l’écoute. J’ai beaucoup appris avec eux du fait de leur expérience. Il y avait une vraie confiance et un vrai respect dans nos échanges.

Chercheur en histoire et réalisateur, comment conciliez-vous les deux statuts ? Est-ce facile de les marier en une seule personne ?

Oui, j’ai été d’abord professeur en Histoire mais je continue à enseigner cette discipline seulement un semestre. Je suis devenu cinéaste…C’est à la fois complémentaire et difficile de concilier les deux mais pour l’instant je n’ai pas le choix que de continuer à enseigner. Il est vrai que je souhaiterais me consacrer totalement au cinéma. Mais, je suis aussi passionné par l’acte de transmettre des savoirs, de donner des armes intellectuelles pour réfléchir, questionner, douter, confronter. Parvenir à réfléchir par soi-même, c’est de cette manière que je conçois mon métier de professeur…  Le cinéma questionne aussi nos identités, nos histoires et je trouve intéressant de continuer à travailler sur le savoir scientifique et à faire des films. Pourquoi faudrait-il choisir ?

Quel est votre prochain documentaire? Aura-t-il une relation avec les thèmes d’Histoire ?

Je réfléchis à plusieurs sujets mais je suis en train de lire beaucoup d’articles, de livres autour de la question amazighe au Maroc. Ce mouvement pluriel peut être porteur d’une grande modernité politique quand il n’est pas sectaire. Il a fallu des années de lutte politique pour faire admettre enfin que l’amazigh soit une langue officielle. J’admire la contribution intellectuelle de Mohamed Chafik dans ce combat. C’est une grande figure savante sur cette question.
Je pense ne pas avoir encore épuisé cette dimension juive de l’identité marocaine ; alors j’imagine aussi une suite à ce premier documentaire. Chaque chose en son temps, mon film me prend beaucoup de temps et c’est tant mieux. Je suis heureux de l’écho qu’a suscité le film. J’ai appris par des universitaires que des étudiants travaillaient sur la réception du film par l’opinion publique car il avait donné envie d’approfondir tel ou tel aspect de cette histoire des Marocains de confession juive. C’est fabuleux. Il faut que nous nous réapproprions toute notre Histoire. Le Maroc est riche de cette diversité culturelle. L’art du documentaire est un grand moyen d’explorer nos mémoires plurielles.

La mémoire dans les films documentaires ne constitue-t-elle pas un thème difficile, dans la mesure où plusieurs communautés humaines n’aiment pas s’investir dans ce volet?

Travailler sur les mémoires est intéressant dans la mesure où cela nous apprend quelque chose sur les sociétés dans lesquelles nous vivons aujourd’hui. Il n’y a pas une mémoire mais des mémoires. Les mémoires sont aussi reconstruites, le danger est l’idéalisation du passé. Pour beaucoup de personnes, «Tinghir-Jérusalem» a réveillé un passé tabou. En réalisant le film, je ne m’en rendais pas compte car je ne vis pas continuellement au Maroc. J’ai reçu des centaines de messages, soit de personnes me racontant leur expérience de cette vie commune, soit, notamment, des jeunes qui ignoraient totalement cette histoire. Les mémoires ne doivent pas être l’otage d’idéologies. J’ai essayé de n’être prisonnier d’aucune idéologie pour vous raconter un fragment de cette histoire.

Dans le discours de vos personnages, on ressentait une certaine déchirure. Comment avez-vous ressenti cela ?

Etre honnête intellectuellement et artistiquement, cela me paraît essentiel. Tous mes personnages avaient envie de parler de cette déchirure de la séparation comme si cela avait été refoulé trop longtemps. C’est une mémoire subjective et spontanée.
Cela a réveillé aussi des blessures. Je me souviens avec émotion de personnes aujourd’hui musulmanes et qui ont appris que leurs ancêtres étaient juifs. Le film leur a donné le courage d’aller questionner l’entourage, la famille pour en savoir plus. Une jeune Marocaine de culture musulmane vivant en Europe m’a contacté pour l’aider à retrouver sa grand-mère juive. C’est un film en soi.  


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