Entretien avec Bérénice Saliou, Commissaire d’exposition : Trankat Street : Quand l’art va à la rencontre du patrimoine

Mercredi 7 Octobre 2009

Entretien avec Bérénice Saliou, Commissaire d’exposition : Trankat Street : Quand l’art va à la rencontre du patrimoine
Trankat Street est un projet artistique qui ne concerne
ni New York ni Londres contrairement à ce que son nom laisserait croire. C’est Tétouan qui accueillera
ce projet d’envergure.
Il mobilisera, en 2010,
six artistes internationaux qui travailleront au sein
de l’ancienne médina de Tétouan. Une manière de mettre en exergue la richesse du patrimoine de cet espace historique et hautement symbolique. Entretien
avec Bérénice Saliou, Commissaire d’exposition, à l’occasion de son passage à Tétouan.

Libé : Comment est né le projet de résidence d’artistes « Trankat Street » ?

Bérénice SALIOU : Le projet est né d’une amitié entre Younès Rahmoun, artiste tétouanais et moi-même. J’ai rencontré Younès il y a plus de deux ans, en France et nous avons ensuite collaboré sur divers projets artistiques. Un soir, alors que nous venions de prendre un thé à la place Feddan, Younès m’a fait part de son rêve de voir, un jour, un projet artistique investir la médina. Je lui ai alors répondu : « D’accord, allons-y ! ». Au départ, nous souhaitions nous concentrer uniquement sur la rue Trankat. L’idée était d’inviter des artistes à travailler dans les boutiques des commerçants et de favoriser ainsi des rencontres et des collaborations entre deux mondes qui se côtoient peu : l’art et le commerce. Puis, le projet a évolué vers un investissement de l’espace de l’ancienne médina dans son ensemble, l’idée étant que chaque artiste réagit plastiquement à la spécificité d’un quartier. Ceci nous semblait plus pertinent afin de souligner toute la richesse patrimoniale de la médina.

Quels en sont les principaux objectifs ?

Le terme « rencontre » est le mot d’ordre de ce projet, et ce à plusieurs niveaux. Il s’agit tout d’abord de mettre en place les conditions d’une rencontre entre les populations de Tétouan et l’art contemporain qui est souvent méconnu. Le mot « art » est en effet souvent associé à la peinture ou à la sculpture ; or la réalité est bien différente et l’art contemporain revêt de multiples facettes allant de l’installation à la vidéo, en passant par la performance, le son et le multimédia. Notre objectif est de mettre en place un projet qui puisse illustrer la vitalité et la diversité des pratiques artistiques contemporaines.
La rencontre se fera également d’un point de vue pédagogique, car le projet comprend une composante essentielle qui est la mise en place d’ateliers et de collaborations avec les étudiants de l’Institut national des Beaux-Arts. Il s’agit en effet de donner à ces derniers l’occasion de prendre part à un projet artistique d’envergure importante tout en travaillant avec des artistes professionnels reconnus. 
Par ailleurs, Tétouan compte de nombreux acteurs culturels de qualité tels que l’Institut national des Beaux-Arts, l’Ecole des Arts et Métiers, le Festival du cinéma méditerranéen, le Musée d’Art Moderne qui ouvrira prochainement ses portes, le Collectif 212 etc. Le projet s’appuie donc sur toutes ces ressources existantes dans l’optique de générer des synergies. Enfin, Trankat Street, qui cherche à attirer l’attention sur la magnifique médina, classée patrimoine mondial de l’Unesco, participe d’une volonté de développement socio-urbain et de mise en valeur du patrimoine.

Avez-vous facilement pu mobiliser des artistes pour ce projet ?

Les artistes sollicités ont tous fait preuve d’un réel enthousiasme. Tétouan est en effet une ville très attirante, complexe et riche d’histoire, qui constitue à la fois une invitation quasi irrésistible et un défi à relever. Intervenir artistiquement au sein d’un tel joyau est un privilège, mais aussi une entreprise difficile qui ne va pas sans attiser la curiosité et la créativité des artistes.

Quels ont été les critères de choix des artistes retenus ?

Les artistes ont été sélectionnés pour leur capacité à intervenir dans un contexte sortant du cadre traditionnel des musées et des galeries. Tous sont capables de créer des œuvres qui investissent l’espace public tout en le respectant. Il est en effet indispensable que les artistes comprennent le contexte de Tétouan et de l’ancienne médina afin de ne pas imposer des pratiques qui risqueraient d’indisposer les personnes qui y vivent. Les artistes du projet Trankat Street se distinguent donc tous par une forte capacité à dialoguer et à échanger ainsi que par une ouverture d’esprit certaine.

Pouvez-vous nous les présenter ?

Le projet étant prévu pour la fin 2010, il est encore un peu tôt pour annoncer l’identité des artistes de façon officielle. Je peux cependant d’ores et déjà vous dire qu’ils seront au nombre de six et qu’ils viennent de pays différents comme le Royaume-Uni, la France, l’Espagne et bien sûr le Maroc. Certains travaillent de façon concrète en créant des installations monumentales à fort impact visuel tandis que d’autres se caractérisent par une pratique plus immatérielle se basant sur le patrimoine culturel et la mémoire collective ; d’autres encore développent une pratique à tendance « socialement engagée ». Enfin le projet comptera également une personne travaillant avec des matériaux plus traditionnels comme la peinture.  Mais laissons le suspense durer encore un peu !

Le travail des artistes se fera in situ. Comment cela sera-t-il perçu par la population ?

Les œuvres seront créées in situ, c’est-à-dire en fonction du contexte spécifique dans lequel elles prennent place. Les œuvres seront donc créées spécialement pour l’espace public de la médina de Tétouan ; elles seront visibles par tous, dans la rue, au détour d’une ruelle, en allant faire ses courses par exemple.
S’il m’est difficile de savoir maintenant comment les œuvres seront perçues par la population, je peux par contre vous dire ce que nous espérons, car la réception d’un tel projet ne peut pas se prédire à l’avance. Il s’agit d’une première, d’une sorte d’expérimentation. Je pense que l’une des réactions qui ne manquera pas de survenir sera la surprise, l’étonnement. Et c’est exactement ce que nous recherchons, car une personne étonnée, surprise dans son quotidien par quelque chose d’inattendu, est une personne curieuse, qui viendra sûrement poser des questions, demander des explications. Dialoguer, échanger ensemble sur un sujet apparemment si éloigné des préoccupations des gens serait déjà gagner le pari. Il ne s’agira pas ici d’essayer à tout prix de faire des adeptes de l’art contemporain ni d’essayer d’obtenir le contentement de tous, ce qui est une chose impossible. Bien sûr, nous respecterons la médina et ses habitants. Le but n’est pas de bouleverser les lieux ni les gens ! Cependant, si des personnes viennent nous dire qu’elles ne comprennent pas en quoi ceci est de l’art, nous le prendrons comme une excellente chose, car cette personne se sera exprimée, nous aura fait part de son sentiment et nous aurons alors eu l’occasion de nous rencontrer et de parler ensemble, chose qui ne serait jamais arrivé autrement. Peut-être cette personne repartira-t-elle en ayant changé de point de vue sur l’art contemporain, ou peut-être apprendra-t-elle quelque chose aux artistes. Comme je l’ai souligné, ce projet se place sous le signe de la rencontre et de tout ce qu’elle comporte en richesse, en surprise et parfois en magie. 

Propos recueillis par Amel NEJJARI

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