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Entre retraités chibanis et autochtones : C’est loin d’être le pied … d’égalité


Hassan Bentaleb
Jeudi 8 Août 2019

“Les retraités marocains de France bénéficieront de leurs pensions de retraite et de la protection sociale même s’ils résident au Maroc et ils n’ont plus l’obligation de rester en France pour en jouir». Cette information n’est pas un scoop puisqu’elle a fait la une de plusieurs médias nationaux en juillet dernier. Pourtant, la réalité est tout autre. En fait, il s’agit uniquement là d’une amélioration de leur prise en charge santé.
« Il ne s’agit en aucun cas d’allocations de retraite. La loi votée par l’Assemblée nationale en novembre dernier est claire puisqu’elle évoque particulièrement une extension de la prise en charge des frais de santé des « chibanis » qui ont travaillé durant des  dizaines d’années pour certains d’entre eux  avant de retourner à la mère patrie», nous a indiqué Abdellatif Maârouf, auteur du livre : « Histoire des Marocains aux Pays-Bas: Présence et Mémoire ». En fait, ladite loi entrée en vigueur le 1er juillet avait pour ambition d’élargir la prise en charge des frais de santé des pensionnés  à l’étranger et ayant travaillé plus de quinze ans en France ainsi que de leurs enfants mineurs. « La loi concerne donc les retraités et non pas la retraite.  Et la prise en charge médicale fait partie du package retraite qui comporte d’autre paramètres (protection sociale et pension). Le problème de beaucoup de retraités marocains ayant travaillé en Europe est qu’ils n’ont pas le minimum vieillesse et, du coup, le droit à une retraite complète. Ceci pose problème quand ils quittent le territoire du  pays d’accueil», nous a expliqué notre source. Et d’ajouter : « Une fois au Maroc, ces « chibanis » doivent disposer d’assurances santé marocaines puisque leurs salaires dépassent les 1.000 DH ».
Omar Samaoli, gérontologue et directeur de l'Observatoire gérontologique des migrations en France (OGMF), a expliqué à ce propos dans l’ouvrage « Marocains de l’Extérieur 2017 », que le citoyen qui revient s’installer au Maroc peut percevoir sa retraite de base et sa retraite complémentaire. En cas de décès, ses ayants droit peuvent également percevoir les prestations habituellement servies dans ce sens ; à savoir l’allocation de veuvage pour les veuves de moins de 55 ans et la pension de réversion au-delà de cet âge. En revanche, si le retraité percevait l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI) ou l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), il ne pourra plus y prétendre ; ces prestations étant soumises à une condition de résidence stable en France.
Il estime que ces allocations concentrent toutes les difficultés en cas d’installation définitive au Maroc. « En effet, non seulement ces prestations sont soumises à des règles de résidence permanente en France, mais elles fixent aussi la durée de l’absence autorisée pour pouvoir continuer à en bénéficier. Et très souvent, que ce soit par ignorance ou pour d’autres raisons, il s’avère que le séjour du MRE retraité dépasse la période autorisée, ce que les services prestataires constatent par différents moyens : absence du retraité de son domicile lors de visites de contrôle, vérification (en toute illégalité) des dates de sortie et de retour en France sur les passeports, etc. Or, dans tous ces cas de figure, le retraité est contraint de rembourser à la Sécurité sociale ce qu’il est considéré avoir été perçu de manière indue », note-t-il.   
Le directeur de l’OGMF distingue entre les retraités qui se sont inscrits dans une transhumance permanente entre le pays d’accueil et le Maroc et qui sont appelés à respecter les délais d’absence du pays d’accueil fixés par la loi sous peine d’être confrontés à des suspensions de prestations ou à des demandes de remboursement de trop perçus en raison de leur absence et les retraités qui sont rentrés depuis longtemps au Maroc après une expérience migratoire plus ou moins achevée. Parmi eux, et  faute d’avoir atteint le maximum d’annuités, certains ne sont jamais parvenus à l’âge de pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein. On trouve également dans cette catégorie ceux dont les carrières ont été éparses parce qu’ils ont occupé différents emplois chez différents employeurs et, parfois dans différentes régions ou pays.
L’installation du retraité au Maroc apporte deux modifications importantes à sa situation, précise Omar Samaoli. En premier lieu, il ne relève plus directement de sa caisse de retraite française mais de l’organisme national de référence, à savoir la Caisse nationale de sécurité sociale marocaine (CNSS) qui, partant des termes de la convention bilatérale de sécurité sociale, constitue un organe de liaison et de contrôle dans la situation du retraité et de ses ayants droit, devenant ainsi l’unique interlocuteur du MRE retraité vivant au Maroc. Vient ensuite la situation de cette personne au regard de l’assurance maladie en France.
Lorsqu’il quitte le pays d’accueil, le pensionné est radié par l’assurance maladie française qui ne le couvre plus, ni lui ni ses ayants droit. L’un et l’autre doivent alors s’inscrire à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) de sa région d’installation pour pouvoir bénéficier des soins de santé servis par cette caisse pour le compte de celle dont il dépendait lui et sa famille en France. Cependant, même établi au Maroc, le MRE retraité n’est pris en charge que s’il remplit certaines conditions (être titulaire d’une retraite du régime général de la sécurité sociale français ; avoir vécu dans un pays de l’Union européenne ou dans un pays ayant signé une convention comportant des dispositions en matière de droit aux soins de santé avec la France ; ne pas percevoir de retraite de son pays de résidence). Néanmoins, dans le cas d’un séjour temporaire en France et à la condition qu’il soit titulaire d’une pension du régime français de sécurité sociale, le MRE retraité peut percevoir le remboursement des soins qu’il reçoit sur le territoire français s’il remplit certaines conditions (avoir un état de santé qui nécessite des soins immédiats ; être titulaire de la carte de séjour «retraité» ; être titulaire d’une ou plusieurs pensions rémunérant au moins quinze ans d’assurance en France).
Pourtant, précise Omar Samaoli, il n’en demeure pas moins que « beaucoup d’immigrés se retrouvent dans des situations financières précaires au moment de leur départ à la retraite. Cette précarité a des causes multiples : les bas salaires donnent lieu à des petites retraites car les cotisations sont proportionnelles aux revenus ; vient ensuite l’impact, sur les carrières, les absences ou les séjours hors de France, la non-déclaration par les employeurs, ou les périodes de travail précaire sans cotisations. Tout ceci n’est parfois découvert qu’au moment de la demande de liquidation de la retraite et il constitue une source de vulnérabilité pour les MRE ».
Par ailleurs, le directeur de l’OGMF, a souligné que, contrairement à une idée reçue, l’émigration a cessé d’être un phénomène à sens unique, opérant unilatéralement du Sud vers le Nord, du Maroc vers l’Europe (et en l’occurrence vers la France). « Il existe désormais des flux migratoires en sens inverse, c’est-à dire en direction du Maroc, et ceux-ci augmentent de manière régulière. Ainsi par exemple, les caisses de retraite françaises ont servi au Maroc 31.599 pensions de droits directs et 30.419 de droits dérivés en 2015, contre 30.800 pensions de droits directs et 24.582 pensions de droits dérivés en 2018 . Or, même sans avoir accès à la nationalité des bénéficiaires, il est difficile d’imaginer que ces prestations aient pu être servies en majorité à des étrangers résidant dans le Royaume. Ces chiffres illustrent donc le retour des MRE retraités au Maroc », précise-t-il. Et de conclure : « Ces données confirment, par ailleurs, que l’immigration marocaine est traversée par une mobilité à tonalités diverses et qu’il existe une proportion importante d’ayants droit qui restent liés à l’immigration, et ce même dans le cas des épouses qui n’ont jamais quitté le pays ».


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