Enseigner n’a pas d’âge. Une réforme sans âme pour une jeunesse sans avenir

Ministère de l’Education… ou de l’exclusion ?


Mehdi Ouassat
Dimanche 2 Novembre 2025

Enseigner n’a pas d’âge. Une réforme sans âme pour une jeunesse sans avenir
Lorsque le ministère de l’Education nationale a annoncé, dans un ton se voulant conciliant, le relèvement de la limite d’âge pour accéder aux concours de recrutement des enseignants de 30 à 35 ans, l’opinion publique aurait pu croire à un geste d’ouverture. En réalité, il n’en est rien. Cette décision, présentée comme un assouplissement, n’est qu’un replâtrage politique qui trahit une incapacité profonde à écouter, à comprendre et à agir.

Car loin d’apaiser la colère des jeunes diplômés, elle a ravivé la flamme de l’indignation. Le Comité de soutien à la pétition adressée au chef du gouvernement ne s’y est pas trompé. Dans un communiqué publié le 30 octobre, il dénonce une mesure «toujours discriminatoire et anticonstitutionnelle», qui «perpétue une politique pénalisant les jeunes diplômés les plus touchés par le chômage». Ces mots, lourds de sens, rappellent à quel point le fossé s’élargit entre les promesses d’égalité et la réalité vécue par des milliers de Marocains formés, compétents, mais privés de perspective.

Depuis plusieurs semaines, la question de l’âge limite pour intégrer les Centres régionaux des métiers de l’éducation et de la formation (CRMEF) a pris une tournure nationale. Le ministère, en fixant initialement la barre à 30 ans, a allumé la mèche d’une colère sociale et symbolique. Face à une telle onde de choc, la réponse gouvernementale aurait pu être à la hauteur : un dialogue sincère, une révision des conditions d’accès, une réflexion globale sur la précarité de la jeunesse diplômée. Au lieu de cela, le gouvernement a choisi la demi-mesure, tentant de calmer la tempête par une simple addition de cinq années.

Mais, comme le souligne le Comité, ce relèvement reste «injuste et anticonstitutionnel». Le communiqué est clair : «Cette mesure porte atteinte au principe d’égalité des chances et accentue l’exclusion sociale de larges catégories de jeunes diplômés marocains». Derrière la technicité de la décision, c’est toute une philosophie de gouvernance qui se révèle: une politique qui trie, qui sélectionne, qui segmente, au lieu d’inclure et de construire.

Les mots du Comité résonnent comme un verdict. «Cet assouplissement ne fait que confirmer l’échec du gouvernement à proposer des solutions durables à la question du chômage chez les jeunes», écrit-il encore. Cette phrase claque comme une gifle à un Exécutif qui, depuis des années, empile les réformes sans jamais affronter les causes structurelles du désespoir social. Le chômage des jeunes n’est pas une fatalité : il est le produit d’une politique qui décourage l’effort, sous-finance la formation et érige des obstacles administratifs à la place d’opportunités.

En fixant des limites d’âge à l’entrée du métier d’enseignant, le gouvernement s’enferme dans une logique d’exclusion absurde. Car en quoi un diplômé de 36 ans, riche d’expérience, serait-il moins capable d’enseigner qu’un jeune de 34 ans? Cette obsession de la tranche d’âge traduit un mal plus profond : la confusion entre modernisation et uniformisation, entre sélection et injustice. Le Comité, à juste titre, y voit une atteinte directe aux principes constitutionnels. «Le droit au travail et à l’accès à la fonction publique est un droit constitutionnel, rappelle-t-il. Et il doit être garanti à tous les citoyens sans distinction fondée sur l’âge ou la situation sociale».

C’est là tout le paradoxe d’un gouvernement qui se targue de moderniser l’école tout en fermant la porte à ceux qui veulent y contribuer. Plutôt que d’ouvrir les concours à tous ceux qui ont la vocation d’enseigner, il s’emploie à dresser des barrières arbitraires. Et ce choix n’est pas neutre : il exclut, mécaniquement, des milliers de jeunes qui, faute de débouchés ailleurs, voyaient dans l’enseignement un horizon d’utilité et de stabilité.

Le Comité l’affirme avec fermeté : «Au lieu de réfléchir à des mécanismes permettant d’améliorer et de renforcer l’école publique en intégrant les meilleurs profils issus des universités marocaines, le gouvernement a choisi de bloquer l’accès à ces jeunes de plus de 35 ans». Ce constat est implacable. Il met le doigt sur une réalité que l’Exécutif évite soigneusement : celle d’un système éducatif fragilisé, incapable de recruter sur la base du mérite et encore moins de valoriser le capital humain produit par nos universités.

Cette affaire ne se résume donc pas à un simple débat administratif sur un âge limite. Elle révèle la faillite d’une vision politique de l’emploi et de l’éducation. Le communiqué du Comité, en ce sens, agit comme un miroir : il reflète l’échec d’une gouvernance qui, faute de courage, s’abrite derrière des décisions techniques pour masquer son impuissance sociale. Le gouvernement, écrit le Comité, «perpétue la logique consistant à faire porter aux citoyens la responsabilité de l’échec des politiques publiques dans les domaines de l’éducation, de l’emploi et du développement».

La jeunesse marocaine, aujourd’hui, ne demande pas des faveurs. Elle exige la justice et la cohérence. Elle réclame un Etat qui protège plutôt qu’un Etat qui restreint. Elle réclame une école qui recrute sur la compétence, non sur la date de naissance. Elle réclame, enfin, que l’égalité des chances cesse d’être un slogan pour redevenir une réalité. Le communiqué dénonce ainsi «une logique discriminatoire (…) qui tenterait de légitimer une séparation entre citoyens selon leur tranche d’âge». 

Le Comité de soutien, né le 18 octobre dernier, s’inscrit déjà dans cette dynamique. Sa pétition, portée par un mouvement citoyen large et structuré, appelle «toutes les forces vives du pays — organisations de jeunesse, associations de la société civile, partis politiques, syndicats et personnalités nationales — à unir leurs efforts pour faire tomber cette mesure injuste et défendre le droit des jeunes Marocains à l’emploi et à une vie digne». Cet appel est plus qu’un texte. C’est une alerte, une invitation à repenser les fondations mêmes de notre contrat social.

Car au bout du compte, la question de l’âge n’est qu’un symptôme. Le véritable problème, c’est l’absence d’une vision politique cohérente pour la jeunesse, pour l’éducation, pour le travail. Le Maroc ne manque ni de talents, ni de volonté, ni de jeunesse. Il manque d’écoute, de stratégie et de courage politique.

Relever la limite d’âge à 35 ans ne suffit pas. Ce qu’il faut relever, c’est le niveau du débat public, le sens de la responsabilité et le respect des principes constitutionnels. Car la seule limite évidente aujourd’hui n’est plus celle de l’accès aux concours de recrutement des enseignants, mais celle de la crédibilité de ce gouvernement.

Mehdi Ouassat


Lu 294 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dans la même rubrique :
< >

Dimanche 2 Novembre 2025 - 18:00 Sagacité Royale Et Reconnaissance mondiale

Actualité | Dossiers du weekend | Spécial élections | Les cancres de la campagne | Libé + Eté | Spécial Eté | Rétrospective 2010 | Monde | Société | Régions | Horizons | Economie | Culture | Sport | Ecume du jour | Entretien | Archives | Vidéo | Expresso | En toute Libé | USFP | People | Editorial | Post Scriptum | Billet | Rebonds | Vu d'ici | Scalpel | Chronique littéraire | Chronique | Portrait | Au jour le jour | Edito | Sur le vif | RETROSPECTIVE 2020 | RETROSPECTIVE ECO 2020 | RETROSPECTIVE USFP 2020 | RETROSPECTIVE SPORT 2020 | RETROSPECTIVE CULTURE 2020 | RETROSPECTIVE SOCIETE 2020 | RETROSPECTIVE MONDE 2020 | Videos USFP | Economie_Zoom | TVLibe


Flux RSS