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En attendant, Godot est toujours aux abonnés absents ! : La marche des bidonvillois de Mohammedia contre la marginalisation


Rida ADDAM
Vendredi 3 Décembre 2010

En attendant, Godot est toujours aux abonnés absents ! : La marche des bidonvillois de Mohammedia contre la marginalisation
Fatigués de nager dans les marées qui engloutissent leurs bidonvilles sinistrés et las d'attendre les aides des officiels qui n'arrivent pas, quelque 12 mille habitants ont marché, mercredi, pour dénoncer l'inertie des autorités locales qui ont brillé par leur absence durant les dernières inondations de la province de Mohammedia. «Ils ont bien raison de le faire, puisque Godot se fait toujours attendre… Ni le gouverneur, ni le président du Conseil, ni même leurs responsables n'ont honoré, jusqu'à présent, ces gens par leurs visites. Ils n'ont même pas pensé à leur envoyer des aides pour subvenir à leurs besoins dans de telles circonstances. Ils se sont contentés de diligenter sur les quartiers sinistrés leurs agents d'autorité pour établir uniquement des rapports», témoignent des militants associatifs de Mohammedia. Trois marches ont été initiées par les habitants sinistrés, notamment ceux du bidonville Brahma Charkaoua qui baignent toujours sous les eaux. Reportage.
Mercredi matin. Nous sommes à deux jours après les inondations qui ont frappé la province de Mohammedia. Cette journée caractérisée par une météo plutôt calme, s'avère déjà tendue. La colère des habitants est à son comble. Le silence et la négligence des responsables sont sans pareils. La situation est loin d'être normale. Des milliers de sans-abri sont las d'attendre des réactions concrètes des autorités locales. Le bidonville Brahma Charkaoua est toujours noyé. La hauteur des eaux y a atteint 1,5 m. La situation est donc plus grave que ne le pensent les responsables. Les habitants de ce bidonville devenu un aquarium pour êtres humains ont perdu leurs modestes biens. Depuis la nuit du désastre, quelque 350 familles affamées sont devenues sans logement. Certains sinistrés montrent déjà des symptômes de différentes maladies respiratoires. Les vêtements usés et mouillés qu'ils portent ne font qu'aggraver leur situation sanitaire. Sans oublier les mauvaises odeurs des eaux stagnantes qui pourrissent l'air sur place. Ils ont besoin de nourriture, de soins, et de repos. La nuit du désastre était rude pour eux. A l'instar des autres bidonvillois, les habitants de Brahma Charkaoua n'avaient encore constaté, ce mercredi matin, aucune réaction, des autorités locales. En un mot : «Godot les a oubliés», ricane un intellectuel. Des femmes se contentent de pleurer en silence pour ne pas semer la panique et réveiller leurs enfants endormis par terre, les larmes aux yeux. D'autres partagent les discussions houleuses des hommes avec les agents d'autorité locale diligentés sur place pour établir des rapports à leurs supérieurs de la situation.
Ailleurs, au quartier Al Bradâa, le décor est presque le même, sauf que l'emplacement géographique de celui-ci a facilité la tâche aux jeunes du quartier mobilisés pour évacuer les eaux diluviennes. Idem pour le bidonville Al Massira et les autres quartiers d'habitat insalubre qui encerclent la ville.
Soudain éclate une grogne générale. Il est 11 heures du matin. Les habitants des trois bidonvilles ont pris l'ultime décision : au lieu d'attendre les responsables qui n'arrivent toujours pas, ils ont lancé séparément trois marches de protestation vers le siège de la province. Il s'agit des habitants des bidonvilles Brahma Charkaoua (voir photo), Cristal d'Ain Harrouda et Al Bradâa qui protestent contre le comportement irresponsable des autorités locales qui ont brillé récemment par leur absence et nonchalance. Ainsi, quelque 12 mille habitants ont marché séparément à destination du quartier chic qui abrite le nouveau  siège de la province de Mohammedia dont la construction a coûté, depuis quelques années, quelques milliards de centimes. Cette vague de protestation n'a pas fait le bonheur des autorités locales qui ont diligenté sur le champ plusieurs équipes d'intervention sur les trois itinéraires empruntés par les habitants. Et c'est le clash : «Des dizaines d'agents d'autorité ont usé de la manière forte pour stopper et disperser les habitants d'un bidonville. Certains agents de l'autorité, notamment des caïds, ont même supplié des habitants de renoncer à leur marche tout en leur promettant de transmettre leurs doléances aux responsables», nous a raconté un militant. Encerclés par les forces de l'ordre à l'entrée de la ville de Mohammedia, les habitants du bidonville Brahma Charkaoua ont scandé des slogans, dénonçant la passivité et l’indifférence des responsables de la province. Ils sont résolus à ne plus accorder leurs voix aux élus qui à chaque malheur, les abandonnent à leur sort. Au bout de quelques heures, les forces de l'ordre sont parvenues à faire revenir le calme, en délégant des acteurs associatifs auprès des habitants mécontents. «Ils avaient peur que le drame de Laâyoune se répète. C'est pourquoi ils nous ont suppliés d'intervenir pour demander aux habitants sinistrés un petit délai afin d'obtenir les aides élémentaires, à savoir les soins, les habits et les couvertures», nous a avoué un associatif de la région d'Ain Harrouda. Le soir même, des vivres et des matelas ont été distribués aux sinistrés. Mais les habitants du bidonville Brahma Charkaoua ont été privés de cette aide. Jusqu’à ce jour, ils n'avaient encore rien reçu. Pourquoi ? Plusieurs hypothèses sont à envisager. Et pourtant, les habitants de ce bidonville sinistré et marginalisé préfèrent observer le silence et attendre la prochaine réaction des officiels. Pour eux, rien ne change. D'ailleurs, ils n'ont pratiquement pas le choix : patauger dans les marées qui engloutissent leurs demeures ou attendre Godot !
La situation de la province de Mohammedia est un peu particulier. Il s'agit bien d'une ville riche, ceinturée par de grandes unités industrielles nationales. La situation des bidonvilles devait être résolue depuis bien longtemps. Mais à chaque fois les réunions entre les représentants des habitants avec le gouverneur et le responsable de la société Al Omrane achoppent sur des problèmes techniques. Surtout que les bidonvilles se multiplient de jour en jour sous les regards des autorités qui n'agissent pas en conséquence, pour circonscrire cette croissance qui entrave à chaque fois les démarches entreprises en vue d’éradiquer ce fléau.
D'autre part, le problème des inondations ne devait plus avoir lieu, si l'on croit bien les anciennes promesses et déclarations des officiels. Rappelons, dans ce sens,  qu'une importante enveloppe budgétaire a été allouée à cet effet par le ministère de l'Intérieur, le Secrétariat d'Etat chargé de l'Eau et de l'Environnement, le Conseil de la région du Grand Casablanca, la commune urbaine de Casablanca et certaines sociétés locales, telle la Samir et la Lydec. Ceci dit, quelque 688,928 millions DH ont été débloqués au profit de onze projets pour la protection de la ville contre les inondations, dont 35,4 MDH destinés au financement des projets d'accompagnement. Ces projets ont concerné la mise en place depuis 2004 de canaux d'assainissement sur une longueur de 1.000 m et une superficie de 120 m2 avec une enveloppe de 70 MDH. Ils concernent également la réalisation d'ouvrages pour protéger le boulevard Sidi Mohamed Ben Abdellah sur une longueur de 1.600 m (4,18 MDH) dont les travaux ont été achevés en 2003 et le boulevard Chefchaouni ainsi que Douar El Haj, respectivement d'une longueur de 150 m (273 Mdh) et 200 m (425 Mdh). La construction du barrage Boukarkour sur l'Oued El Maleh d'une capacité de 57 millions de m3, achevée en avril 2005, a nécessité, pour sa part, quelque 336 MDH, alors que la construction du barrage Hassar sur l'un des versants de l’Oued El Maleh dans la commune de Chellalates sur une superficie de plus de 30 Km2, a coûté 10 MDH. Ce dernier projet qui porte sur la construction du barrage El Maleh d'une capacité de 110 millions de m3 a coûté 160 Mdh. La Samir a, pour sa part, réalisé en 2003 une digue de 1.800 m pour un investissement de 12 MDH en plus d'un ouvrage de protection pétrolière d'une longueur de 1.200 m (7,5 MDH). Sans oublier également qu'une digue a été également construite pour protéger le site du golf Royal sur une longueur de 1.800 m avec une enveloppe de 2,65 Mdh. L'aménagement du Lac Aïn Tekki pour la protection de la zone-est de la ville contre les inondations a été réalisé avec un coût de 1,55 MDH. Selon les officiels, il a été procédé au relogement des familles sinistrées pour un coût de 20 MDH, à la reconstruction du pont Blondin (14 Mdh), au renforcement du pont portugais (400.000 Dh), en plus de la construction du canal de délestage de l’Oued El Maleh sur une longueur de 2.000 m (1 MDH).   Et pourtant la menace persiste toujours. Les dégâts des inondations sont toujours catastrophiques. 


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