Droits de l’Homme: ce que disent les lauréats du Prix Kadhafi


Par Jean-Paul Marthoz *
Mardi 1 Mars 2011

Depuis le déclenchement de la répression en Libye, les « amis de Kadhafi », ceux qui avaient justifié la reprise de relations cordiales avec le régime ou, pire encore, célébré son règne, ont piètre mine.
Certains feignent la surprise, comme s’ils découvraient la brutalité, la folie et la duplicité du colonel. D’autres se taisent en se demandant quel sera l’impact de leur copinage libyen sur leur propre réputation.
Dans de nombreux pays, en effet, ceux qui s’étaient étonnés ou indignés des embrassades entre leurs dirigeants et Kadhafi demandent des comptes. Pourquoi donc fallait-il faire étalage de sa sympathie pour un satrape qui était impliqué depuis des décennies dans des actions terroristes internationales et régnait d’une main de fer et sans partage sur une population terrorisée ?
Embarrassés, les hôtes européens du colonel libyen ont pour la plupart fait une courbe rentrante et demandent aujourd’hui des sanctions contre leur ancien « partenaire respectable ».
Dans cette débandade, les plus gênés sont sans doute les lauréats du Prix Kadhafi des droits de l’Homme, une distinction instaurée en 1988. Parmi ceux-ci, les présidents Daniel Ortega (Nicaragua), Evo Morales (Bolivie), Hugo Chavez (Venezuela) et Fidel Castro (Cuba) sont particulièrement exposés.
Comment expliquer, en effet, le caractère « progressiste » de leurs relations avec le colonel Kadhafi, alors que celui-ci révèle son vrai visage de tyran extrémiste, déjanté et massacreur ?
Le malaise est patent au sein du gouvernement vénézuélien. Hugo Chavez, qui s’est rendu à plusieurs reprises à Tripoli et a reçu chaleureusement le colonel Kadhafi sur ses terres, a attendu jeudi pour apporter via son compte Twitter son appui à Kadhafi “confronté à une guerre civile”. Quelques jours plus tôt, Caracas s’était même scandalisé qu’un ministre britannique lance la « rumeur perfide » selon laquelle Kadhafi était en partance pour le Venezuela.
Daniel Ortega n’a pas eu cette prudence. Lors d’une interview à la Radio nationale nicaraguayenne, il a informé qu’il avait téléphoné à Kadhafi. «Il est de nouveau en train de mener une grande bataille», a déclaré le dirigeant sandiniste.
Dans sa « chronique du camarade Fidel », publiée le 22 février dans le quotidien officiel Granma, Castro n’a pas condamné la répression en Libye. Pas un mot de compassion pour les victimes, non plus. L’ex-Lider maximo parle de pétrole, de changement climatique, de décolonisation africaine. Il met en doute les informations en provenance de Libye et, surtout, met en garde contre « le plan de l’OTAN d’occuper la Libye ».
Une certaine gauche internationale, latino-américaine en particulier, se retrouve prise à contrepied par ces événements libyens qui démontrent la nature fasciste d’un régime indécemment courtisé sous les bannières de l’anti-impérialisme et du « socialisme ». Contrairement à une certaine pensée réflexe, il ne suffit pas, en effet, d’être antioccidental ou anti-américain pour être progressiste ou de gauche. L’équation, pourtant, a la vie dure.
De tout ce cafouillage, c’est finalement l’image d’une « amicale des caudillos » qui ressort, à mille lieues de la rhétorique libératrice qui avait animé, il y a des décennies, les vieux révolutionnaires latino-américains. Et le glas sonne pour tous ceux qui ont préféré se voiler la face pour ne pas « miner la Revolucion » ou ne pas « faire le jeu de l’impérialisme ».
Comme le rappelait en 1983, le grand écrivain mexicain Octavio Paz, à propos des intellectuels qui refusaient de critiquer les dictatures si celles-ci se disaient de gauche ou révolutionnaires, « l’attitude de ces groupes et de ces personnes ne diffère pas de celle des staliniens des années 1930 ; à l’image de ces derniers, certains, un jour, seront honteux de ce qu’ils dirent et de ce qu’ils turent ».

* Professeur de journalisme
international à l’Université
catholique de Louvain


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