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Driss Benhima explique les positions de la Ram dans le dossier ASI : “Il va falloir que nous sortions coûte que coûte de cette impasse”


Propos recueillis par Mohamed Benarbia
Mercredi 22 Avril 2009

Driss Benhima explique les positions de la Ram dans le dossier ASI : “Il va falloir que nous sortions coûte que coûte de cette impasse”
Libé : Dans quelles conditions êtes-vous venus dans Air Sénégal International (ASI) ? Driss Benhima : ASI a été une très belle histoire, symbolique et exemplaire de la collaboration et de l’amitié entre deux pays frères. RAM a été appelée par les autorités sénégalaises pour apporter son expertise et ses moyens, permettant la création d’un pavillon national sénégalais, qui n’existait plus en l’an 2000. Royal Air Maroc a mis à disposition un avion, le personnel technique et commercial nécessaire et toutes ses compétences. L’Etat sénégalais n’a, quant à lui, pas mis un sou dans cette affaire mais a valorisé, à hauteur de 49% du capital, les droits de trafic aérien qu’il a accordés à la société. Avec l’expérience, on se rend compte que RAM a fait preuve de naïveté en pensant que la fraternité maroco-sénégalaise la préserverait de tout soupçon de mauvaises intentions et la protégerait en cas de divergences de vues. Quelles sont les raisons pour lesquelles RAM a décidé de se retirer d’ASI ? Si la RAM devait prendre la décision de s’en aller, c’est en 2004, quand l’Etat sénégalais, au mépris du pacte d’actionnaires, a retiré unilatéralement le monopole de l’assistance au sol qui avait été donné à Air Sénégal International. Ce grave manquement aux engagements pris a été le premier d’une longue série de couleuvres qu’ASI a dû avaler au nom de la coopération Sud-Sud et dont les dernières sont constituées par l’éviction abusive de l’opération pèlerinage de fin 2008 et la saisine de la justice au détriment de la procédure arbitrale prévue par le pacte d’actionnaires. RAM n’a jamais pris la décision de se retirer d’ASI, je rappelle que c’est d’abord le partenaire sénégalais qui a décidé de reprendre sa compagnie nationale. Le ministre des Transports sénégalais de l’époque avait annoncé il y a un an et demi, en octobre 2007, la volonté de son pays de prendre le contrôle d’ASI. Nous avons réagi en déclarant que nous respections ce choix et que Royal Air Maroc était disposée à accompagner tranquillement la partie sénégalaise pour une concrétisation harmonieuse du transfert. Pourquoi la partie sénégalaise n’a pas repris sa compagnie d’après vous ? Ce que nous savons, c’est que depuis cette déclaration, d’autres annonces ont été faites confirmant la volonté de reprise mais qu’aucune action n’a été entreprise pour mettre en place un processus et un calendrier. Même la commission mixte maroco-sénégalaise créée par l’Assemblée générale de novembre 2007, et chargée de proposer des modalités de mise en œuvre de cette décision, a vu ses travaux interrompus unilatéralement par nos partenaires. Un autre groupe de travail, comprenant pas moins de deux ministres, créé par décret le 25 juillet 2008, et qui devait œuvrer pour que la séparation soit effective au 31 décembre 2008, a été lancé en grande pompe mais n’a produit aucun résultat et ne nous a même pas informés des motifs de son échec. Courant 2007, la situation d’ASI semble s’améliorer mais elle rechute à nouveau, pourquoi ? D’abord les annonces de reprise par les autorités sénégalaises ont créé des incertitudes et inquiété les passagers d’ASI, les agences de voyages, et encore plus les fournisseurs et les prestataires qui se sont naturellement mis à refuser le moindre crédit à ASI. Ensuite, les obstacles à la mise en œuvre de certaines actions de réduction des coûts ont empêché Air Sénégal International de réduire ses charges. D’autres éléments sont venus affaiblir la situation financière d’ASI. Il s’agit tout d’abord de l’éviction abusive d’Air Sénégal International de l’opération pèlerinage 2008, et cela, à moins de deux mois du démarrage de l’opération. Après qu’Air Sénégal International a mobilisé des moyens, du personnel et consenti des dépenses pour la mise en œuvre de l’organisation du transport des pèlerins, elle a été stupéfaite par la décision des Autorités sénégalaises de lui retirer cette opération sans motif et sans préavis et sans aucun appel à la concurrence. ASI a ensuite appris que le Gouvernement du Sénégal avait décidé de confier l’opération, non pas à une compagnie aérienne mais à une agence de voyages dépourvue de moyens de transport, la société Zam Zam. Les conditions du choix de cette agence n’ont jamais été rendues publiques. La suite est connue : les défaillances de la Société Zam Zam ont fait que 2500 pèlerins sénégalais ont été livrés à leur sort à Djeddah sans ressources durant plusieurs jours. En définitive, c’est l’Etat marocain qui a pris en charge le rapatriement de ces pèlerins et Royal Air Maroc s’est mobilisée pour assurer ce rapatriement dans les meilleures conditions avec l’appui logistique d’Air Sénégal international. Cette éviction abusive d’ASI lui a fait subir un préjudice financier lourd qui a encore fragilisé sa situation financière, sans compter les dégâts causés à l’image puisque certains se sont demandé si le fait de retirer l’opération à la Compagnie n’était pas dû à un manque de confiance dans ses capacités, et surtout sa sûreté. Enfin, il faut rappeler que dès octobre 2007, l’Etat sénégalais s’était formellement engagé à recapitaliser la société, chose qui n’a toujours pas été accomplie mais qui aurait renfloué la trésorerie de la compagnie. Royal Air Maroc avait déclaré avoir proposé à vos partenaires sénégalais un plan de reprise. Quelles étaient vos propositions ? Une proposition de feuille de route comportant une solution viable avec des conditions avantageuses afin d’assurer la survie d’ASI et la sauvegarde des emplois a été transmise par Royal Air Maroc. Concrètement, nous avons proposé l’abandon du compte courant d’un montant de 10 millions d’euros, ce qui aurait pu permettre à l’Etat du Sénégal de recapitaliser sa compagnie nationale. Nous avons également offert la location d’avions à un prix extrêmement réduit, un échéancier de remboursement des dettes d’ASI à l’égard de RAM sur dix ans et un accompagnement dans la gestion jusqu’au 30 juin 2009. Nous ne demandions pas de finaliser la démarche dans l’instant, mais au moins de passer un accord sur des délais et une méthode. Quelle a été la réponse de vos partenaires à ces propositions ? En réponse à cette volonté généreuse de RAM de préserver la compagnie nationale sénégalaise et les emplois de ses salariés, nos partenaires nous ont assignés en justice pour obliger Royal Air Maroc à assurer la continuité de la gestion d’ASI sous peine d’une condamnation à une astreinte très forte. Il s’agit d’une attitude tout à fait contradictoire avec les déclarations tonitruantes de volonté de récupération de la compagnie de fin 2007. Tellement tonitruantes que toute la presse marocaine avait annoncé à l’époque que le transfert de majorité était déjà concrétisé alors qu’il n’en était rien. Nos coactionnaires ont également demandé à la justice un audit de la Compagnie. Je rappelle simplement qu’ASI a déjà fait l’objet d’un audit demandé par l’Etat du Sénégal comme préalable à la reprise. Il a été effectué par cinq grands cabinets internationaux directement mandatés par les Autorités sénégalaises. Tout le personnel d’ASI, dans tous les secteurs, a collaboré activement pour faciliter la tâche des auditeurs et leur transmettre l’ensemble des informations et des documents nécessaires à leur mission. ASI a d’ailleurs reçu en date du 19 novembre 2008 une lettre de félicitation du ministre des Transports sénégalais pour sa parfaite collaboration. Nous n’avons reçu aucune explication sur les motivations d’un nouvel audit et il s’agit encore d’une autre de ces contradictions obscures qui entourent la gestion de cette affaire par nos coactionnaires. Par ailleurs, outre l’assignation en justice, l’Etat sénégalais a procédé au blocage des comptes d’Air Sénégal International par l’Agence chargée de récupérer les taxes aéroportuaires, ce qui ne peut qu’entraîner à court terme la cessation des activités de la Compagnie. Inutile de vous dire combien nous avons été déçus et désappointés par cette attitude de la partie sénégalaise qui prend ainsi le risque majeur de ruiner sa Compagnie nationale. Que va devenir ASI dans les prochains jours? Les activités de la Compagnie vont sûrement s’arrêter dans les jours qui viennent. Depuis plusieurs mois, ASI ne vivait que grâce au support financier de Royal Air Maroc qui n’a accepté de consentir ce sacrifice que pour laisser à la Compagnie la possibilité de survivre et de se développer après le départ de Royal Air Maroc. Aujourd’hui, elle vit très péniblement au jour le jour. Il est bien évident que cette situation, que Royal Air Maroc a tout fait pour éviter, ne pourra plus durer très longtemps. Nous avons attiré à plusieurs reprises l’attention de nos partenaires sur l’extrême urgence de parvenir à un accord entre actionnaires sur la base du protocole que nous avions proposé. Nous en sommes là, c’est-à-dire, proches du néant, convoqués devant les tribunaux mais sans rencontrer ni volonté, ni instance de négociation. Il va falloir que nous sortions coûte que coûte de cette impasse. Les difficultés actuelles du trafic aérien auxquelles RAM n’échappe pas, rendent les choses encore plus urgentes. Cette situation nous navre vraiment, mais nous avons tout fait pour l’éviter et nous n’en portons aucunement la responsabilité, je tiens à le faire savoir, en premier lieu au personnel d’ASI, auquel j’exprime ma solidarité, mais aussi aux opinions publiques marocaine et sénégalaise, ainsi qu’aux passagers d’ASI. Comme je l’ai déjà dit, personne ne pourrait maintenir le pavillon national aérien d’un pays sans un minimum de soutien de la part des premiers responsables de ce pavillon. N’avez-vous pas peur que ce litige sur Air Sénégal International n’entache les relations politiques entre le Maroc et le Sénégal ? Si les relations historiques et les liens fraternels entre les deux pays avaient de l’importance vis-à-vis des derniers développements de cette affaire, jamais l’Etat du Sénégal n’aurait assigné la compagnie nationale marocaine en justice. De plus, il faut se rappeler que lorsque le ministre sénégalais de l’époque est venu, en personne, dès octobre 2007, m’annoncer la décision de l’Etat sénégalais de reprendre le capital et la gestion d’ASI, il n’avait prévenu, au préalable, ni son homologue marocain ni l’Ambassade du Maroc à Dakar. Il ne s’agit donc, pour tout le monde, que d’un litige entre actionnaires sur une entreprise en difficulté. D’ailleurs, nos problèmes sont classiques des difficultés des investisseurs étrangers dans certains pays. C’est peut-être notre erreur d’avoir cru qu’au Sénégal, pour nous autres marocains, ce serait différent.


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