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Des graffeurs romantiques dans un monde de brutes

A Belgrade, beaucoup offrent volontiers leur théorie sur ce qui fera d’un supporteur un soldat de l’armée des Grobari du Partizan ou un Cigan de l’Etoile Rouge


Mercredi 20 Juin 2018

Ils sont les Fossoyeurs Trash Romantiques et couvrent les murs de Belgrade de leur amour du Partizan, l’un des deux grands clubs serbes de foot, loin de l’imagerie ultranationaliste et violente des supporteurs des Balkans.
En ce printemps, Derox, le grafeur du collectif Grobari Trash Romantizam (GTR), ne chôme pas: il repeint 35 fresques siglées GTR. Elles ont été vandalisées lors d’une opération nocturne vraisemblablement menée par des fidèles du rival honni de l’Etoile Rouge.
A Belgrade, beaucoup offrent volontiers leur théorie sur ce qui fera d’un supporteur un soldat de l’armée des Grobari (Fossoyeurs) du Partizan ou un Cigan (Tsigane) de l’Etoile Rouge, les deux géants du football yougoslave puis serbe, fondés à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Co-fondateur de GTR, Ivan Lovric, 31 ans, a la sienne: le Partizan serait plutôt soutenu par les élites intellectuelles et les couches populaires quand le Crvena Zvezda (Etoile Rouge) serait le club des classes moyennes. Mais lui-même ne semble guère convaincu.
Dans le centre de Belgrade, le haut de Dorcol est un fief du Partizan, à l’inverse du bas du quartier acquis au Crvena Zvezda... Derox, 33 ans, de son vrai nom Milan Milosavljevic, y achève le portrait du peintre surréaliste franco-yougoslave Ljuba Popovic.
“J’aime le Partizan pas seulement pour le football”, dit Derox, pour qui GTR, plus qu’un groupe de supporteurs, est un “mouvement artistique lié par le football”. Il revendique sa “part de snobisme” et assume “un pied de nez à ceux qui décrivent les amateurs de football en idiots”. Et “dans P-ART-izan, il y a ART”, théorise-t-il.
Sur sa fresque qui sèche, Ljuba Popovic clame qu’il “soutient le Partizan depuis 1942”.
Seuls des esprits étroits relèveront que le club ne devait être fondé que trois ans plus tard. Ou s’étonneront de la présence dans le panthéon des héros GTR, de l’écrivain britannique George Orwell ou de ses compatriotes musiciens Morrissey, Joe Strummer et Eddy Grant.
Le dernier “est vraiment un supporteur du Partizan”, dit Ivan Lovric qui achève ses études de littérature anglaise. Il rappelle un morceau où le chanteur de reggae offre de chausser son “chapeau invisible” pour “faire visiter Belgrade”: “Détends-toi et je vais t’amener là où tout se passe”.
Quant à Strummer, poursuit Lovric, avant d’être le leader des Clash il exerçait la profession de fossoyeur. Et un vers du chanteur des Smiths, Morrissey, a donné à GTR un de ses slogans officieux: “To die by your side is such an heavenly way to die (mourir auprès de toi est une façon si douce de mourir)”.
Et Orwell ? Lovric est convaincu qu’”il avait tout ce qu’il faut pour être supporteur du Partizan”. Et puis il a collaboré avec la revue trotskiste américaine Partisan, tente-t-il.
Au lancement de GTR en 2012, “nous n’avions pas de doctrine, pas de plan, nous voulions juste faire quelque chose pour l’amour de notre club”, dit Ivan Sarajcic, programmateur informatique barbu de 47 ans.
Il a cofondé le mouvement après avoir lu un post sur Facebook, un vers de Lord Byron, complété par Lovric: “She walks in beauty, like the night. And I live for Partizan and fight (Elle marche dans sa beauté, semblable à la nuit. Et je vis pour le Partizan et combats)”. Bref, tout ceci fut “spontané”, dit Ivan Sarajcic, qui considère l’explication suffisante.
Le groupe détonne avec l’image de violence que trimballent les supporteurs locaux. Mais le sujet ne concerne guère GTR. “Je ne suis pas contre la violence, si c’est entre deux groupes qui sont d’accord pour se battre”, dit Lovric. A chacun sa manière d’exprimer son amour du club: “La nôtre, c’est l’art.”
S’il ne parle pas politique, une des fresques de Derox rend hommage à Brana Milinovic, fan du Partizan tué en 1991 à 18 ans, lors d’une manifestation anti-Milosevic.
Les fresques de GTR s’inscrivent dans une tradition belgradoise. La ville est parsemée de portraits d’hommes jeunes, hooligans ou membres d’un milieu criminel très présent dans les tribunes, qui ont péri dans des circonstances souvent violentes. Derox explique avoir exécuté de telles oeuvres, commandées par des proches des défunts.
Aussi travaille-t-il la plupart du temps sous l’oeil habitué, souvent approbateur, des badauds et de la police. Un jour, “une voiture de police est passée, a ralenti. Ils nous ont dit +bon travail!+ et ils ont continué”, s’amuse Ivan Lovric.


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