Déficit culturel : La responsabilité des intellectuels marocains en jeu


Par MOHAMMED BERREZZOUK
Jeudi 27 Décembre 2012

Déficit culturel : La responsabilité des intellectuels marocains en jeu
«Au Maroc, notre cher pays, tout ce qui relève de l’esprit n’a pas bonne presse». Voilà une rengaine que nos intellectuels ne se fatiguent pas de chanter sur les airs des lampions. Certes, notre culture est en crise. Elle se trouve indéniablement dans une impasse. Mais au lieu de comprendre lucidement, de fond en comble, les origines de cette débâcle culturelle, de la passer sous le scalpel de la réflexion ponctuelle, les intellectuels ont plutôt tendance à se lamenter, à épancher leurs doléances au vu et au su de tout le monde.
Pour expliquer cette réalité décevante, ils n’ont pas de cesse de loger indistinctement à la même enseigne des causes hétéroclites, éparses, de toutes les couleurs, des causes remâchées sans relâche depuis des lustres. L’analphabétisme à foison, l’ignorance pléthorique, le charlatanisme aveugle : tels sont en quelque sorte  les ingrédients d’une thèse qui prétend interpréter facilement la situation lamentable, mais qui, au bout du compte, manque d’intelligence et de perspicacité. Les intellectuels, à vrai dire, pour se déculpabiliser donc d’une affaire qui les concerne directement, qui les indispose aussi, n’hésitent  aucunement à  jeter leur dévolu sur la société analphabète, le peuple ignare et le charlatanisme. Ils prononcent de concert la même sentence : le Maroc est une société arriérée, donc la culture se voit péremptoirement vouée aux gémonies.
Néanmoins, ces mêmes  intellectuels, qu’ils le veuillent ou non, ont leur part lourde de responsabilité dans la détérioration de la culture au Maroc. Avant d’accuser, sans discernement, toute une société, aussi riche que plurielle, d’en être seule responsable, ils doivent faire leur autocritique, se regarder bien en face dans le miroir des désillusions. Révolu ce temps où le peuple était toujours le bouc-émissaire, souvent la victime sur laquelle on porte indifféremment nos péchés. Il fallait que ces intellectuels reconnaissent  à haute voix leurs erreurs, avouent sans aucune honte leurs travers, dévoilent à bon escient les fils cachés de leurs cabales dans le champ culturel. Que les choses soient dites clairement. Point de facticité si l’on voulait vraiment promouvoir la culture dans ce pays, la hisser sur le grand  piédestal des «choses de l’esprit».
Chez nous, depuis toujours, presque toutes les activités culturelles sont malheureusement une image répétée de la mesquinerie intellectuelle. A chaque fois, on y assiste aux  mêmes thèmes ressassés jusqu’à la nausée, on y rencontre les mêmes visages dégarnis de tout prestige savant, on y écoute, contre notre gré, les mêmes voix qui susurrent des bêtises insupportables. Au Maroc, à quelques petites exceptions près, les rencontres culturelles sont des festivités  dépourvues de sens, là où l’exhibitionnisme maladif est de mise. Elles demeurent, de surcroît, de grandes occasions  où ces intellectuels, dans les coulisses, ôtent leurs masques trompeurs, s’expriment à visages découverts, laissent parler leur nature profonde et refoulée. Dans ces rencontres culturelles, l’authenticité manque irrémédiablement, le souci de l’objectivité déserte, l’esprit ouvert cède la place à l’esprit borné. Ici et là, des colloques et des symposiums sont organisés. Félicitations! Mais sans donner suite à des publications ultérieures. De la sorte, communications, allocutions, débats deviennent, à bien des égards, des paroles oubliées une fois la  clôture imposée. Le souci de l’archivage y fait défaut. Seuls comptent ces moments passagers où chaque intervenant cherche à se pavaner comme un paon, s’évertue à faire la parade pédantesque, s’emploie à damer son pion à un ennemi juré. Bref, les rencontres culturelles sont tout, sauf culturelles.  
Sur ces entrefaites, la culture, parce que nos intellectuels ne savent ni la vivre ni la faire vivre à public avéré, parce qu’ils ne réussissent ni à la cultiver ni à l’entretenir comme il faut, parce qu’enfin ils échouent à en faire monnaie courante et à la «vendre» en bonne et due forme, cette culture-là court le risque de tomber en désuétude et de susciter incurie et apathie chez bon nombre de gens assoiffés de la  vraie culture.
Si notre culture vit en mal, souffre d’une crise larvée, c’est que cela incombe en somme aux intellectuels qui, eux-mêmes, vivent de plain-pied un fiasco intellectuel de grande envergure. Ainsi, l’intellectuel, bien conscient du rôle qu’il pourrait jouer pour promouvoir l’action culturelle, mis au pied du mur, avance-t-il pourtant  un discours nihiliste et verse-t-il dans un défaitisme absolu. Face à telle situation aporétique, il s’efforce coûte que coûte de cacher sa défaite intellectuelle, sa trahison du clerc comme l’explique Julien Benda. A notre grande surprise, la culture se voit détourner de son objectif initial. Elle devient, à toute occasion, soit une mascarade où écrivains, poètes, penseurs se lancent dans un jeu de flatteries superfétatoires, soit, au pire des cas, une escrime verbale hautement caustique où les coups de dagues sont donnés mutuellement du tac au tac. A leur insu, la culture est tournée en dérision par ceux mêmes qui auraient été censés la défendre, la préserver, en prendre soin. En corollaire, l’ostracisme s’avère le destin tragique de tous ceux qui veulent sciemment opérer honnêtement, sans arrière-pensées ni intentions intéressées, dans le champ culturel. A leur corps défendant, ces intellectuels honnêtes, les vrais intellectuels ressemblent plutôt à ce preux chevalier étique qui livre une bataille farouche à de gigantesques moulins, lesquels finiraient par lui broyer bras et épée. Les «intellectuels honnêtes» se retirent alors de la scène contaminée par les «intellectuels-flatteurs-escrimeurs», pour continuer enfin à travailler dans l’ombre, seuls et solitaires, loin de tout artifice et tout intérêt personnel.


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