De Yarmouk à Paris, les “Réfugiés du rap” trouvent asile dans la musique


Vendredi 17 Mars 2017

Dans leurs chansons, ils ont raconté leur quotidien de réfugiés palestiniens à Yarmouk, près de Damas, la révolution et la guerre en Syrie et aujourd'hui leur vie en France: exilés permanents, les "Refugees of rap" Yaser et Mohamed Jamous ont fait de leur musique leur drapeau. Sur la scène d'un complexe associatif parisien, les deux frères s'adressent au public: "La prochaine chanson s'appelle +L'âge du silence+. C'est la première fois qu'on a osé parler directement contre le régime (de Bachar al-Assad en Syrie)".
Si on disait "un mot" contre lui, "c'était 20 ans (de prison) ou la mort. Là, on a voulu dire que l'âge du silence, c'est fini! " Beat lourd, musique solennelle, ils martèlent le refrain en arabe: "Il faut se réveiller, sortir des rêves. Le temps du silence est révolu, emporté par la parole. " C'est l'un des derniers morceaux qu'ils ont chantés en Syrie. Au printemps 2013, ils ont quitté Yarmouk, le camp de réfugiés palestiniens où ils sont nés dans la banlieue de Damas, pour faire vivre les "Refugees of rap" ("les Réfugiés du rap"), leur groupe créé en 2007 avec deux amis algérien et syrien. A l'époque, c'est l'une des premières formations de rap en langue arabe en Syrie, même si le nom de leur groupe est anglophone, tout comme les titres de certaines de leurs chansons. "
On a choisi ce nom parce que, pour nous, le rap c'est comme un pays où on peut dire ce qu'on pense. Et on demande l'asile là-bas", explique Mohamed, le cadet, âgé de 28 ans.
Dans leur premier album, dont ils ont financé eux-mêmes la production, ils chantent le quotidien des 3 km2 surpeuplés de Yarmouk et plaident la cause palestinienne.
En voyant la répression du printemps syrien qui débute en 2011, ils décident d'accompagner la révolte en musique. Ils écrivent "The age of silence", "Haram" ("Interdit") qui raconte l'horreur de la guerre, "Aysheen" qui proclame "Nous vivons", "Corruption in the country" ("Corruption dans le pays")... Huit titres sont prêts, mais leur projet de nouvel album s'arrête net.
Sur Facebook, les menaces pleuvent. "On ne savait pas précisément de qui ça venait mais on nous disait: +Si vous continuez, on brûle votre studio, on vous tue+", raconte Yaser, 29 ans: "Ça visait aussi nos familles".
La guerre arrive en 2012 à Yarmouk, leur studio est détruit dans des bombardements. Pour un motif inconnu, leur petit frère est emprisonné 40 jours. "Quand il est sorti, il était dans un état horrible, il avait été torturé", raconte Mohamed.
La Syrie est devenue trop dangereuse. Ils décident début 2013 de partir et, chanceux, ils rejoignent la France par avion, depuis le Liban. Ils obtiendront le statut de réfugié, avec la mention: "Nationalité indéterminée, d'origine palestinienne". "On est exilés partout, mais on n'est pas de nulle part", sourit Mohamed: "On est fiers d'être Palestiniens parce que c'est notre histoire et qu'en Syrie on nous faisait sentir qu'on était palestiniens. Mais on a aussi le sentiment d'être syriens parce qu'on a grandi en Syrie. Maintenant, on se sent parisiens". Mohamed travaille dans un hôtel.
Yaser est vendeur dans une boutique de souvenirs. La musique est leur passeport: ils font des concerts au Danemark, en Suède et en France, où ils ont terminé et sorti en 2014 l'album "The age of silence". Et travaillent leur français en écoutant des rappeurs du pays. Sur scène, ils font oeuvre de pédagogie, traduisant leurs paroles au public - composé surtout de jeunes, pas forcément arabophones - et faisant répéter les refrains en arabe avant les morceaux. "En Syrie, les gens comprennent la langue, et le rap fonctionne beaucoup avec les paroles, les techniques d'écriture... C'est ce qui nous manque ici", confie Yaser.
Leur troisième album, prévu avant l'été, sera "moins politique", "plus personnel". Aujourd'hui, alors qu'ils vivent en France, les deux frères ne se sentent plus légitimes pour raconter une guerre qu'ils ne vivent plus. "Quand on y était (en Syrie), on voyait les choses, c'était plus clair pour nous", explique Yaser: "On s'est dit qu'on allait plutôt raconter notre histoire ici (en France), l'exil". Sans toutefois oublier la Syrie. "Je me fais plus de souci que Ban Ki-moon", scandent-ils ironiquement dans leur titre Ayam al Ghorba ("Jours d'exil"), en référence aux récurrentes déclarations d'inquiétude de l'ancien secrétaire général de l'ONU. La situation actuelle leur donne peu d'espoir de retourner là-bas. "Mais dans l'exil", sourit Yaser, "le futur n'est jamais clair".


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