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Dans le nord du Mozambique, la face cachée de la fièvre du rubis


Mercredi 17 Octobre 2018

Sous la canopée de la forêt tropicale, ils se faufilent un à un dans les galeries puis en ressortent, essoufflés, les bras chargés de sacs d'une terre sablonneuse dont ils espèrent extraire les quelques éclats de pierres précieuses qui leur permettront de survivre.
Dans le nord du Mozambique, qui fournit 80% de la production mondiale de rubis, des centaines de mineurs informels défient jour et nuit la faim, la police et une multinationale pour grappiller les miettes illégales du commerce de cette pierre.
Faque Almeida, 46 ans, est l'un de ces damnés de la terre. Depuis huit ans, il creuse les sous-bois du district de Montepuez en quête de petites brisures rouges.
"Je suis là parce que je suis pauvre", confie ce musulman de Nampula (centre). Amputé d'une jambe depuis un accident, Faque Almeida doit nourrir quatre femmes et 22 enfants. "Je survivais en cultivant un petit lopin de terre pour ma famille quand j'ai entendu dire qu'il y avait des pierres précieuses à Montepuez. Depuis, je suis là".
La découverte fortuite il y a dix ans des premiers rubis a donné la fièvre à toute la région. Des milliers de personnes y ont accouru pour arracher quelques gemmes avant que le gouvernement mozambicain ne s'en mêle.
En 2011, il a accordé une concession de 36.000 hectares à la société Montepuez Ruby Mining (MRM), détenue aux trois-quarts par le groupe britannique Gemfields et pour le reste par un général bien en cour à Maputo.
Aux yeux de la loi, MRM est la seule autorisée à extraire et à vendre les rubis de Montepuez, un commerce qui lui a officiellement rapporté 350 millions d'euros depuis 2012.
Mais l'arrivée du géant britannique, de ses barbelés et de ses agents de sécurité armés n'a pas fait partir les "garimpeiros". La police, accusée par les mineurs de brutalités et même d'exécutions sommaires, non plus.
"Nous creusons des trous de plus de 5 m qui parfois s'effondrent sur nous. J'ai perdu de nombreux amis et un frère comme ça", confie Fernando Zulu.
"Mais notre plus grande crainte, c'est la police et la sécurité privée. Ils viennent, nous arrêtent, nous torturent et parfois même nous enterrent vivants", affirme-t-il.
Ces pratiques ont été documentées par plusieurs ONG. L'an dernier, l'association des avocats du pays a dénoncé les "actes de torture, violences (...), persécutions et menaces menés par différents éléments des forces de sécurité".
La police et Gemfields démentent tolérer la moindre violence dans leurs rangs.
"Nous concédons que les relations entre nos agents de sécurité et les mineurs illégaux ne sont pas forcément amicales", concède le PDG de Gemfields, Sean Gilbertson, "mais nous faisons tout pour respecter les droits de l'Homme."
Ce jour-là, les mineurs illégaux sont une centaine à butiner le sol à coups de pioche. S'ils continuent, c'est qu'une partie du butin extrait du sous-sol alimente le marché noir.
Selon les témoignages recueillis par l'AFP, les pierres déterrées par les mineurs informels sont écoulées auprès de négociants venus du Sénégal, du Nigeria ou du Mali, qui font leurs affaires le long de la route qui mène à la concession.
La marchandise tombe ensuite entre les mains de "grossistes" venus de Thaïlande, du Sri Lanka ou du Vietnam. "Je séjourne ici pendant un mois ou deux pour acheter des rubis. Une fois que j'en ai assez, je repars dans mon pays pour les vendre", explique l'un d'eux sous couvert de l'anonymat.
Ce circuit garantit aux "garimpeiros" de quoi survivre.
Originaire d'un village de la Tanzanie voisine, Cassiano Johane s'est installé à Montepuez en 2011 et y creuse toujours. "J'ai quitté ma famille pour les rubis", plaide-t-il, "j'en ai trouvé plusieurs, je les ai vendus et j'ai envoyé l'argent à ma famille".
Si la police tolère ce marché noir, affirment en choeur les mineurs, c'est qu'elle en profite largement. "Lorsqu'on est arrêté (...), la police nous libère souvent en échange d'un bakchich. Seuls ceux qui n'ont pas les moyens restent en prison", témoigne Leonardo Vaneque, 23 ans.


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